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plus de fougue, au temps de Racine plus de mesure. Au temps de Racine, il est vrai que la raison fut à la mode. Et La Fontaine, s’il n’a pas été le seul poète de son temps qui eût, pour les mouvemens de sa prompte sensibilité, une obligeante prédilection, du moins ne se cachait-il pas de ne contraindre guère son humeur. Il y avait alors, à l’égard de la sensibilité, une certaine pudeur, qu’il ignorait, ou peu s’en faut.

De cette manière, il ressemble à tels écrivains de l’époque précédente, plutôt qu’à ses contemporains. L’amitié qu’il témoigne à maître Clément, par exemple, et à maître François, et à nos vieux conteurs les moins raisonnables, à leurs facéties les plus audacieuses et à leur langage, est un indice : il eût aimé leur compagnie, comme leurs ouvrages. Et, en quelque sorte, il les continue, dans une société qui a changé de caractère et dans laquelle il parait un peu dépaysé. L’auteur de l’Art poétique ne le nomme pas ; surtout l’idée de la poésie et de la littérature que l’Art poétique formule n’a pas de rapport avec l’idée poétique et littéraire de La Fontaine. C’est tout une autre idée. L’ami de Boileau, de Racine et même de Molière est tout un autre homme. Et c’est ainsi qu’il n’entre ni dans l’Art poétique, ni tout à fait dans la Chambre du Sublime. Ses contemporains les plus illustres sont, à propos de lui, très embarrassés : ils le devinent grand ; et ils ne le reconnaissent pas pareil à eux. La Fontaine n’est pas pareil à eux. Et, comme il ressemble à des écrivains du siècle passé, il ressemble, dans son siècle, à des écrivains d’une autre catégorie, et d’une catégorie inférieure. Il y a plus d’analogie de nature entre lui et Saint-Amant ou Saint-Évremond ou Bussy qu’entre lui et Boileau ou Racine. Mais il est de la qualité des plus grands. Le résultat de cette contrariété, c’est qu’on ne savait au juste que faire de lui.

La liberté qui s’épanouit durant tout le précédent siècle avec tant d’exubérance, le XVIIe siècle ne l’a pas annihilée : il l’a disciplinée ou, s’il ne le pouvait, il l’a reléguée au second plan. Durant tout le XVIIe siècle, il y a des libertins et qui font la transition de la Renaissance à la Régence ou de Rabelais à Voltaire. Libertins de Conduite et libertins de pensée. La Fontaine est l’un d’eux, s’il est, par le génie, l’égal de Racine.

La Fontaine écrit à Saint-Évremond : « Vous me louez de mes vers et de ma morale, et cela de si bonne grâce que la morale a fort à souffrir, je veux dire la modestie. » La morale de La Fontaine, que loue Saint-Évremond, ce n’est pas tout uniment la morale des Fables ni, je l’avoue, la morale des Contes : c’est la philosophie de La