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pressant vers Vicence et les débouchés du pays lombard-vénitien, il fallait à la nation un ministère national. Pour quelle l’eût, il fallait d’abord que l’homme qui le constituerait portât un nom qui dit quelque chose à la nation, qui, avant toute déclaration ministérielle, fût, à soi seul, un programme, un symbole, et comme un drapeau. M. Salandra, quand, du consentement et presque sur la désignation de M. Giolitti, il avait reçu le pouvoir, n’était pas cet homme. Il l’était devenu peu à peu depuis le mois d’août 1914, plus encore depuis le mois de mai 1915, tout à fait depuis l’admirable et mémorable discours du Capitole. Lui parti, il fallait quelqu’un qui arrivât, possédant d’emblée ce qu’il avait mis deux ans à acquérir, deux années toutes pleines, deux très grandes années, qui ont compté comme deux siècles. Le Roi fit appeler M. Paolo Boselli. Officiellement ou protocolairement, M. Boselli est le doyen de la Chambre des députés, né en 1838, — âgé, par conséquent, de soixante-dix-huit ans, — le dernier membre survivant du Parlement subalpin, le chancelier des ordres du royaume d’Italie; mais, bien plus, il est le président de la Société Dante Alighieri, à la tête de laquelle il succéda à Ruggero Bonghi. Or, la Société Dante Alighieri, c’est, pour Trieste, pour le Trentin, et pour toute terra irredenta, ce qu’a été, avec Paul Déroulède, pour l’Alsace-Lorraine, notre Ligue des Patriotes ; mais c’est une Ligue des Patriotes portée à la plus haute puissance, et dont les actes ont failli dix fois faire rompre l’alliance et dix fois compromis les relations entre l’Italie et l’Autriche, unies, en 1882, par un traité qui faisait violence au sang, au cœur, à l’esprit, à la langue et à l’histoire de l’Italie. Dès 1890, à la suite de la dissolution par l’autorité autrichienne d’une autre société, la Pro Patriâ, considérée comme une de ses filiales et dont le siège était à Trente même, les choses avaient été sur le point de se gâter, tout un chapitre des Mémoires de Crispi en témoigne. M. Boselli, président de la Société Dante Alighieri, par cela seul qu’il en est le président, incarne donc aux yeux des Italiens du dedans et du dehors le patriotisme italien levé et armé contre l’Autriche. D’autres qualités, d’ailleurs, ou d’autres vertus, contribuent à donner à son nom la valeur d’un symbole : en premier lieu, la parfaite droiture d’une vie qui mérite et attire le respect de tous. Né à Savone, en Ligurie, dans une de ces familles où c’était la tradition de conspirer pour la liberté, fonctionnaire à ses débuts, puis professeur d’économie industrielle à l’Université de Turin, puis professeur de science des finances à l’Université de Rome, où il est venu avec la Monarchie, il n’est point sorti de la Chambre depuis