Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préparés à l’Espagne par les sectateurs de l’incrédulité française, il suffisait de montrer, dans la société française, les conséquences de ces doctrines. Elle était purement destructrice, cette raison résolue à ne maintenir rien de ce qu’elle n’avait pas créé et impuissante à rien remplacer de ce qu’elle abolissait. Gênératrice d’inconstance, de provisoire, de caducité par ses prétentions mêmes à se perfectionner sans cesse, elle épuisait de fatigue dans ce mouvement perpétuel les intelligences a jamais incertaines, et refusait à l’humanité le plus nécessaire des biens, le repos dans la vérité. C’est ce repos que l’âme espagnole possédait et qu’elle ne voulait pas perdre : elle avait foi en Dieu, en l’immortalité de l’homme, en des lois données à l’homme par Dieu. Sa fidélité à ces lois avait conservé l’honneur de l’union perpétuelle entre l’époux et l’épouse, la dignité de la famille nombreuse, la décence des mœurs publiques, le courage patient sous le poids de la vie, la conscience de la dignité égale dans l’inégalité des conditions. Voilà ce que, par une volonté presque unanime, l’Espagne entendait garder intact. Les laïcs étaient nombreux qui auraient vu sans déplaisir diminuer les richesses et les privilèges du clergé et se montraient égaux à lui par leur énergie à garder l’ordre fondé sur leurs croyances. C’est la race et l’histoire qui, en eux, protestaient contre une invasion étrangère, c’est la civilisation chrétienne qui s’élevait en eux contre des nouveautés inférieures à elle. Et le principal de leur réprobation et de leur crainte allait à la France parce qu’ils redoutaient la contagion de nos doctrines sur leur propre avenir.

Ce n’est pas dans les dissentimens moraux que les sympathies grandissent. A un tel désaccord de principes s’ajouta une contradiction d’intérêts, quand la France chercha au Maroc la revanche de ses pertes en Égypte. L’Espagne considérait que, depuis l’expulsion des Maures, elle gardait contre eux un droit de suite sur leur terre africaine, et se souvenait d’avoir, sous Charles-Quint, dominé l’Afrique du Nord. Elle gardait au Maroc les débris de ces conquêtes, enclaves stériles pour elle, incommodes pour nous, et afin d’obtenir qu’elle nous les cédât, il fallut lui reconnaître des compensations ailleurs. Ce conflit se traîna long et lourd. Les trop nombreuses allées et venues de nos transactions se heurtèrent à l’idée fixe de l’Espagne que toute cette terre lui appartenait et qu’elle n’avait pas besoin de