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Ces restrictions faites, si nous voulons bien comprendre leur attitude vis-à-vis de la France, il me paraît indispensable, auparavant, de dire quelques mots de leurs théories. Ces théories, j’ai eu la bonne fortune de me les entendre exposer et commenter par l’un d’eux, qui est un écrivain politique de premier ordre, — Enrico Corradini. Nous étions voisins, à Rome, à l’Hôtel d’Angleterre, vieux logis qui garde toujours un reflet de son antique splendeur, ayant vu passer dans ses murs tant d’illustrations, depuis le Pape Pie IX et Dom Pedro, roi de Portugal et des Algarves, jusqu’à Ferdinand Brunetière, pèlerin et conférencier. Et si je songe à Brunetière, ici, c’est surtout parce que Corradini me le rappelait de façon frappante par son éloquence abrupte, sa dialectique, son intransigeance âpre et passionnée. Nous nous retrouvions, comme en terrain neutre, dans la chambre de Jules Destrée, l’éminent député de Charleroi, et il était assez plaisant de voir ce socialiste s’interposer, en conciliateur, entre nos deux impérialismes.

D’abord, le nationalisme italien se différencie essentiellement du nôtre, dès son point de départ : il se défend de toute attache avec le passé, ce qui se comprend sans peine, l’Italie n’ayant point, comme nous, de tradition monarchique. Il n’est l’esclave d’aucun parti politique. Il se vante de les dominer tous. Et il se moque également du régionalisme, cher à Charles Maurras, qui est d’ailleurs très admiré de ces théoriciens. Essentiellement, et dans l’intérêt exclusif de la nation, les nationalistes italiens sont des étatistes. Peu leur importe la forme du gouvernement, pourvu que l’État soit très fort. Ils acceptent d’être monarchistes, si la monarchie veut bien obéir à ce qu’ils appellent « les nécessités dynamiques de l’Italie » et travailler uniquement à la grandeur de la nation : « Ou le nationalisme, dit Corradini, a une âme étatiste, ou il n’en a aucune. Proclamons que l’État libéral, l’État démocratique, l’État social, sont des dégénérescences de l’État. Celui-ci peut donner la liberté, accueillir la démocratie, réaliser même le socialisme ; mais, en tant qu’il est État, il ne peut être qu’un État qui ne tolère pas de qualificatif, hormis un seul : celui de national. »

Ceci posé, ce que Corradini et ses amis nous reprochent le plus, à nous autres Français, c’est de ne pas comprendre assez que l’Italie, à son tour, est devenue une nation, — et une nation qui à les plus grandes ambitions nationales. Ils nous reprochent