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aussi pédagogiques. Cette guerre a certainement révélé cependant l’aptitude de celui qui enseigne aux fonctions de gradé : on eût dû la soupçonner. L’habitude de diriger des enfans l’a préparé à diriger des hommes, « ces potaches barbus, » nom qu’un professeur donne aux poilus. La discipline, l’entraînement l’ont partie de ses qualités professionnelles. Puis il sait qu’avec des enfans, moins respectueux que les hommes, l’exemple seul compte, et c’est cette méthode de commandement qu’il applique à ses nouvelles fonctions, tout en faisant son profit, pour les fonctions d’hier et de demain, de ce qu’a parfois d’utilement définitif un ordre militairement donné. L’uniforme crée moins de différence dans la communauté de la boue ; et c’est sur l’ordre des « grandeurs naturelles, » dans l’armée d’aujourd’hui comme à l’école, que se fondent l’ascendant et l’autorité. Faut-il ajouter que parfois ce chef sait l’allemand, ce qui sert dans maintes occasions, et beaucoup d’autres choses, que (ceci est vrai surtout pour l’instituteur) il sait chanter et conduire un chœur où tous se retrempent et communient. Par profession enfin, il est bon. Il lit les lettres de ceux qui ne savent pas lire, il fait leur correspondance. Il refuse, blessé, de se laisser emporter sans son ordonnance, et il en meurt. A l’hôpital, il donnera de son sang à un voisin, que cette transfusion sauvera. Il sait les paroles qui remontent ; et les plus belles classes qu’il fît jamais, c’est en face d’hommes dont la volonté faiblissait et qu’il a su rendre au devoir. Il ne s’agissait pas de fautes d’orthographe cette fois. C’est tout de même à son inspecteur primaire qu’il raconte le fait, pour en tirer cette conclusion : « Notre tâche d’éducateurs reste intacte sur le front. » Je crois bien !

S’il a, comme tout Français, ce qu’on appelle maintenant le « cran, » il s’y mêle, plus que chez d’autres peut-être, un sentiment de gravité. Le mot de devoir est celui qui revient le plus souvent sur les lèvres des mourans. « Je suis fichu, mais je crois avoir fait mon devoir. » « Mes amis, continuez à faire votre devoir. » Ces suprêmes paroles sont extraites de citations. Même avant l’approche de la mort, c’est la même idée, autant que celle d’honneur, qui est pour lui ce point fixe dont parle Vigny. Celui-ci, qui prévoit, avant l’assaut, qu’il y restera, se console ainsi : « J’aurai fait mon devoir. » Celui-là, que l’on félicite d’une action d’éclat, répond un peu brusquement : « Il