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aussi de trop ignorer le développement intérieur de l’Italie contemporaine : en quoi ils sont d’accord avec tous les Italiens. Et, si nous nous plaignons des excès de leur impérialisme, ils nous rétorquent que nous sommes nous-mêmes, et sans le savoir, des impérialistes impénitens. Comment et en quoi ? Un autre nationaliste, Francesco Coppola, va nous l’expliquer : « La France, dit-il, constituée., organisée et développée dans son unité matérielle, politique et spirituelle, a été, pendant huit siècles, la première nation de l’Europe… Une histoire comme la sienne éduque inévitablement, dans un peuple, un sentiment hyperbolique et égocentrique de sa propre supériorité. Les Français se sont accoutumés peu à peu à considérer la France, non seulement comme la nation privilégiée, non seulement comme la Nation par excellence, mais comme un univers clos, parfait et indépendant en soi. A l’exemple des anciens Hellènes, ils ont fini naturellement par diviser le monde en deux moitiés, la France et la non-France, c’est-à-dire, d’une part, une humanité accomplie et parfaite, digne de toute étude et de tout amour, et, de l’autre, une humanité hybride, pâle copie de la première et cataloguée en deux grandes catégories : « francophile » et « anti française, » d’ailleurs entièrement dépourvue d’intérêt. Et ainsi, uniquement occupés à cultiver, à fouiller, à creuser le sol de leur propre patrie, les Français en sont arrivés à ne plus regarder que rarement et distraitement par-dessus leurs frontières, plutôt pour chercher à l’étranger un repos intellectuel, des jouissances d’esthètes, des émotions exotiques, qu’une connaissance vraie, sérieuse, intéressée des nations étrangères, qui, en fin de compte, n’en valaient pas la peine. De sorte que jamais peuple n’a eu à la fois une plus grande conscience mondiale abstraite et une plus pauvre conscience mondiale concrète… »

C’est ce que, pour ma part, j’essaie de démontrer, depuis bientôt vingt ans, à mes compatriotes. Faut-il en conclure que les Italiens nous ignorent autant qu’ils nous reprochent de les ignorer ? En tout cas, le récent livre de Jacques Bainville[1], dont un chapitre important a paru ici même, a pu prouver à leurs nationalistes les plus susceptibles que non seulement, en France, on connaît, mais qu’on favorise fraternellement toutes les aspirations légitimes de l’Italie.

  1. La Guerre et l’Italie, Paris, 1916 ; Arthème Fayard, éditeur.