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CLASSES DE GUERRE

Il va sans dire que les classes ne furent pas tout à fait ce qu’elles sont en temps ordinaire. « Depuis de longs mois, écrit M. Buisson, ni les choses ni les idées ne nous apparaissent plus qu’en fonction de la patrie. » Les pédagogues appellent « centre d’intérêt » la note dominante d’un enseignement, celle autour de laquelle tout s’organise, à laquelle tout ramène. La guerre n’eut pas de peine à être le centre d’intérêt de l’enseignement depuis deux ans. Les maîtres français gardèrent cependant là une instinctive mesure. La classe resta partout la classe et ne fut jamais le lieu où l’on bavarde. Elle fut pour la sensibilité enfantine, que les émotions du dehors mettent à une suffisante épreuve, la trêve, l’heure passée dans la contemplation des vérités et des lois, et, comme dans une pacifiante éternité. C’est ailleurs que l’éducation est toujours un moyen, un dressage : chez nous, même en ces années de lutte, elle ne s’est ni subordonnée ni abaissée. Nous demandons qu’on ait, en nous lisant, cette remarque toujours présente à l’esprit. Car, en disant ce qu’il y a eu de changé, nous risquons de faire oublier que tout ne l’a pas été. Il y a eu des « classes de guerre, » où la guerre a été racontée dans son origine et dans son développement. Ou bien, dans chaque journée, quelques instans ont été consacrés régulièrement à une méditation des événemens les plus récens, et comme à une patriotique prière. Il y a eu des « cahiers de guerre faits, dans certaines campagnes, pour les familles autant que pour les enfans. Sur le recto, l’histoire des faits ; sur le verso, des pages à lire, les pensées dont il faut se pénétrer. La guerre en a fait éclore de très belles en effet. Les chefs de l’Université ont, à certains jours, eux-mêmes introduit dans les classes cette attention au présent, contre laquelle d’ordinaire ils les protègent. Mais il s’agit d’un présent vraiment exceptionnel, et qui a des proportions d’histoire au moment même où il paraît à l’horizon. M. Liard prit plusieurs de ces initiatives. Il lit lire dans tous les lycées de Paris une admirable page du Times sur les sentimens de l’Angleterre envers la France. Plus tard, il invita les maîtres de tous les ordres d’enseignement à raconter pieusement le martyre d’Edith Cavell, et, tous les recteurs ayant suivi son exemple, il n’y a pas un enfant de France