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Ce gisement, il n’y a pas lieu de le décrire ici, même succinctement ; une telle étude a déjà été faite à bien des reprises ; elle a été suffisamment vulgarisée pour les lecteurs que touchent les détails techniques et elle semblerait fastidieuse aux autres. Je me borne à en rappeler quelques traits principaux dont nous aurons besoin pour discuter. La caractéristique géographique (et, par suite, politique) du gisement lorrain est de constituer un gisement de frontière, exposé, par sa situation, à changer de mains et à être disputé.- Si Briey, au lieu d’être à 5 kilomètres de la frontière, s’était trouvé dans le Berry ou dans l’Anjou, il n’aurait pas attiré de si redoutables convoitises. Mais les derniers traités qui ont dessiné nos frontières ont laissé le bassin lorrain divisé entre trois pays : la France, l’Alsace-Lorraine et le Luxembourg, à proximité d’un quatrième, la Belgique, qui en possède une extrémité. C’est un cas singulier dont on ne peut guère rapprocher que celui de l’ancienne Pologne, où les charbonnages sont découpés de même entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. Quant à la caractéristique industrielle du gisement, elle est de renfermer un énorme tonnage de minerais pauvres et phosphoreux. L’histoire passée de ce bassin, le rôle qu’il joue dans la guerre actuelle et celui qu’il pourra jouer dans l’avenir, tout dépend de ces observations essentielles, sur lesquelles il convient d’insister.

Et d’abord, revenons sur la complexité politique d’un découpage géographique, qui ne s’est pas produit par hasard, dont le hasard ne déterminera pas non plus les changemens futurs. Ne l’oublions pas. Quand, au mois de mai 1871, les négociateurs français insistèrent pour garder Belfort, si les Allemands firent jouer en échange des questions d’amour-propre, comme la brève entrée de leurs troupes dans un coin de Paris, ils s’attachèrent surtout à une satisfaction plus concrète, celle d’obtenir une bande de terrain de 10 000 hectares sur la frontière du Luxembourg, près de Longwy : bande, dans laquelle leurs géologues avaient cru absorber la presque totalité du fer lorrain. Fort heureusement, ces minerais n’occupaient alors en métallurgie, faute de la déphosphoration, qu’un rang secondaire ; on supposait que leur prolongement en profondeur deviendrait très vite inutilisable dans le sens de la France, tant par leur appauvrissement que par les difficultés d’épuisement. Les exigences ennemies portèrent donc seulement sur la région où se