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Après huit jours d’entretiens qui achevèrent d’enflammer l’apôtre, celui-ci s’embarqua pour Cochin. Il n’avait point baptisé Yagirô ; et Yagirô ne l’accompagna pas : en quoi l’un et l’autre rivalisèrent de délicatesse. François prétexta qu’il réservait à l’évêque de Goa la joie de baptiser le premier Japonais ; mais, au fond, il ne voulait pas avoir l’air de blâmer ouvertement le vicaire de Malaca qui lui avait refusé.le baptême. Peut-être aussi, en reculant cette cérémonie, désirait-il s’assurer que Yagirô ne lui échapperait point. Il était en effet de toute importance que ce Japonais vint à Goa, qu’il se perfectionnât dans l’étude du christianisme et de la langue portugaise et qu’on lui inculquât le respect des arts et des industries de l’Europe. Quant à Yagirô, qui eût été heureux de voyager en compagnie du Père, il fit passer avant son plaisir son devoir de reconnaissance envers Alvarez, et, en Japonais fidèle aux obligations de l’intraduisible « giri, » il attendit pour partir que celui qu’il considérait comme son bienfaiteur se mit en route. Il arriva à Goa cinq ou six jours avant François qui s’était arrêté à Cochin.


IX. — RETOUR DANS L’INDE

François revenait dans l’Inde ; mais l’espoir d’évangéliser le Japon marchait devant lui sur les flots. Il eut à subir pendant sa traversée une tempête qui l’effraya plus que les autres parce que la vie, depuis qu’il avait rencontré Yagirô, lui semblait encore plus désirable. L’évêque était à Cochin, en tournée pastorale. La vue de François lui débonda le cœur. Que de nouvelles et quelles nouvelles ! Michel Vaz ? Mort. Diogo de Borba ? Mort. Michel Vaz avait rapporté de Lisbonne son titre d’Inquisiteur qu’il s’était aussitôt appliqué à justifier ; et il était mort dans une forteresse de la côte, à Chaul, empoisonné. Par qui ? On soupçonnait des Juifs ; on soupçonnait des Brahmes ; on soupçonnait de riches Portugais ; on soupçonnait des membres du clergé ; on l’avait même soupçonné, lui, l’évêque ! Le gouvernement ne soupçonnait personne et n’avait manifesté aucun désir de connaître la vérité. Et sa mort en avait causé une autre. Diogo de Dorba se trouvait chez le doyen du chapitre quand on la lui avait annoncée. Il était sorti en poussant des cris et des gémissemens et s’était mis au lit où la fièvre, en quatre jours, l’avait envoyé rejoindre l’Inquisiteur. « Ce n’est