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Mais nous sommes en plein imbroglio. Et les exigences de Sa Majesté grandissaient. Elle réclamait maintenant cent guerriers européens pour défendre sa couronne et sa conscience. François ne resta pas quinze jours à la Pêcherie. Bien que, dans ses lettres, il ne nous ait pas touché mot de son voyage à Ceylan, nous ne pouvons douter qu’il connut, pendant quelques jours, la cité charmante de Kandy, la ville d’or du Ramayana, et le lac où se miraient ses palais de marbre, ses pagodes, ses arbres aux teintes brillantes pareils à des fleurs gigantesques et sa race, une des plus belles, des plus indolentes et des plus fausses du monde. Mais il ne parvint pas à résoudre l’énigme du baptême. Il admit simplement que le Roi vivrait en chrétien et favoriserait le christianisme dans ses Etats, si le Portugal consentait à le protéger ; et, sur cet espoir, il partit en toute hâte pour Goa, accompagné d’un ambassadeur cinghalais.

Jean de Gastro se préparait à retourner au Nord, à Baçaim, d’où il surveillerait les Musulmans et le golfe de Cambaye. Il n’avait pas le temps ou ne voulut pas prendre le temps d’écouter François. L’arrivée de l’apôtre lui fut d’autant plus importune qu’il ne lui avait pas pardonné la part qu’il avait eue dans les instructions royales, et que sa santé défaillante lui faisait mesurer avec terreur la tâche qui lui restait à accomplir aux jours qui lui restaient à vivre. François ne se tint pas pour battu. En dépit des vents contraires, il le poursuivit jusqu’à Baçaim. Il se passa là, entre eux, une scène qui les honore autant l’un que l’autre. On était dans la semaine sainte. François prêcha ; et Jean de Castro, remué par sa parole, ne vit plus en lui que l’homme qui l’aiderait à mourir. Il avait aimé la gloire, sa patrie et Dieu. La gloire ne l’avait pas trompé ; sa patrie lui serait reconnaissante ; et voici que Dieu lui dépêchait un bon pilote à l’heure difficile de franchir la barre. Il lui accorda l’envoi d’une troupe au roi de Kandy, dont l’ambassadeur fut magnifiquement traité. Cela, il le fit moins par conviction que par lassitude, et aussi parce qu’il lisait dans les yeux de François une grande espérance de conquérir Ceylan et qu’après tout, avec ces hommes inspirés, les prévisions humaines les plus probables ont quelquefois tort. Il ne vécut pas assez pour regretter sa faiblesse ; et nous ignorons si François se repentit de s’être engagé dans une affaire qui tourna à la confusion du Portugal. Le roi de Cotta regagna la confiance du