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la matricule, Cosme Anes, qui craignait d’avoir été desservi près de Sa Majesté, avait obtenu de lui qu’il ferait agir en sa faveur les puissans protecteurs qu’il avait à Lisbonne ; et il lui était aussi dévoué qu’on l’est à un homme par qui l’on espère recevoir une décoration. L’évêque, tiraillé entre son clergé d’une part et de l’autre les Dominicains et les Franciscains, n’avait, pour se consoler de toutes ses tribulations, que les fêtes carillonnées et les sermons de Gomez. Bref, à peine François eut-il exprimé sa volonté de déplacer le recteur, que ces hauts personnages intervinrent et protestèrent. L’apôtre dut céder. Il avait touché de la main les limites de son autorité morale. On est fier d’avoir possédé des saints : leurs reliques font la fortune d’une église. Mais qu’ils sont parfois gênans, quand on les a ! Nous enlever le Père Antonio Gomez, qui parle si bien, lorsque vous vous préparez à nous quitter encore ? O mes chers frères, que diriez-vous si je vous annonçais que je reste ?

Il ne pouvait pas rester. Chaque jour l’abreuvait d’amertume. Le vieux gouverneur venait de conclure la paix avec les Musulmans et s’opposait, par crainte de leur déplaire, à l’envoi de missionnaires dans l’île de Socotora. François n’admettait point cette prudence politique. Il essaya de parer aux querelles intestines que la présomption de Gomez menaçait d’allumer après son départ : Paul de Camerino aurait la haute main sur les Pères qui vivaient loin de Goa, et les attributions de Gomez se borneraient au gouvernement du collège. Ce n’était qu’un arrangement précaire. Mais il brûlait de s’éloigner. Sa dernière lettre au Roi est d’une âpreté saisissante : « Vôtre Altesse ne peut rien dans l’Inde pour y propager la foi. Elle ne peut qu’acquérir et garder des richesses temporelles. Que Votre Altesse me pardonne de lui parler aussi clairement… L’heure du jugement approche, qui est l’heure de la mort que nul ne peut fuir, si puissant qu’il soit. Pour moi qui sais ce qui se passe ici, je n’ai aucun espoir de voir exécuter les ordres et les provisions qu’Elle enverra en faveur des chrétiens. Et c’est pourquoi je m’enfuis au Japon. Je ne veux pas perdre plus de temps que dans le passé. Que le Seigneur donne à Votre Altesse de sentir du fond de l’âme sa très sainte volonté, et qu’il Lui fasse la grâce de l’accomplir parfaitement comme Elle souhaiterait de l’avoir accomplie à l’heure de sa mort, lorsqu’Elle devra rendre compte à Dieu de toute sa vie ; et cette heure viendra plus vite