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le bien-être fugitif des convalescences, dans les tièdes escales des ambulances ou des hôpitaux, sont modestes et francs. Ils donnent sans effort la note vécue. Les sensations et les actes n’y sont pas déformés par la griserie du Moi, comme si les auteurs éprouvaient une insurmontable répugnance à grossir leur rôle dans le drame où tant de leurs contemporains furent leurs égaux, et parfois leurs maîtres en infortune et en vertu.

Moins intéressante est la série des productions, où des professeurs patentés d’énergie s’évertuent à donner de la guerre une idée toute conventionnelle et à fabriquer du « Poilu » une image factice. Les pages qui suivent ont été écrites pour substituer la vision de la réalité aux broderies faites de chic par certains artistes et littérateurs bien intentionnés sans doute, mais dont le manque de mesure n’est pas le moindre défaut.


I

Sur la longue bande du front français, la guerre ne sévit pas partout avec la même rigueur. Les Corps que leurs aptitudes spéciales ou les formations fortuites de nouveaux groupemens promènent entre la Somme et l’Alsace, arrivent parfois dans des secteurs où règne depuis longtemps un calme relatif. Il semble que, de part et d’autre, les belligérans se soient mis tacitement d’accord pour observer une sorte de trêve, tandis qu’aux environs immédiats les adversaires soutiennent une lutte acharnée et luttent sans cesse avec fureur.

Cette apparente inertie des « secteurs tranquilles » a des causes diverses. Tantôt, c’est la topographie qui impose aux Allemands comme aux Français une attitude passive : l’assaillant ne retirerait aucun avantage d’une attaque même heureuse, dont le développement l’amènerait sur un mauvais terrain, sur une organisation puissante, où le succès initial se terminerait par un échec. Tantôt, c’est le principe de l’économie des forces qui est appliqué : les axes d’invasion et de contre-offensive déterminent les zones où les groupemens importans doivent être toujours tenus prêts à l’action comme à la réaction ; partout ailleurs un rideau suffit pour empêcher des surprises. Tantôt des tentatives infructueuses ont révélé, au prix de lourds sacrifices, l’inviolabilité réciproque, de secteurs où l’art et la