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Si l’on est tout près de l’ennemi, le « marmitage quotidien » est sans effet sur les premières lignes, tranchées de surveillance et tranchées de soutien. On ne s’expose pas bénévolement à subir les caprices de ses propres projectiles pour se donner la joie d’ennuyer le voisin. Les défenses accessoires sont peu importantes, car il devient très difficile de placer d’épais réseaux sous les yeux et proches des fusils de guetteurs toujours vigilans. Au moment d’une attaque, quelques torpilles ou quelques coups de canon feront voler les oursins et chevaux de frise mal attachés, et la brèche sera ouverte. Mais à ces argumens on peut opposer l’efficacité d’une guerre de mines que les occupans des tranchées, dans l’un et l’autre camp, ne voient pas esquisser sans déplaisir, car on ne sait jamais, jusqu’à l’explosion, quelle équipe allumera la première le fourneau.

Gaz et flammes n’ont jamais encore procuré de résultats décisifs. Ils peuvent être meurtriers, mais ils sont d’un usage qui répugne et, tant que leurs effets resteront aussi localisés, la théorie de la justification par le succès, chère à l’esprit germanique, ne les ennoblira pas. D’ailleurs, à se servir de ces armes sournoises pour mettre hors de cause quelques centaines ou quelques milliers de combattans, nos ennemis ont prouvé une fois de plus leur ignorance de la psychologie. Autant que les atrocités du début de la campagne, elles ont soulevé contre eux l’opinion en Europe et ailleurs. Nous n’aurions pas ménagé notre estime à des chefs et à des troupes employant avec bravoure et énergie toutes les ressources de la guerre ; nous la refusons aux bénéficiaires de ces infernales inventions. Gonflés d’orgueil, fanfarons de dureté, ils proclament qu’ils n’en ont cure et qu’ils s’accommodent, mieux que jadis l’Angleterre, de leur « splendide isolement. » Soit. Mais peut-être regretteront-ils, au jour du règlement de comptes et plus tard, la quarantaine morale où leur absence de scrupules les enfermera. Pour moi, je ne leur pardonnerai i jamais les centaines de notes, circulaires, prescriptions contradictoires qui mettent à de pénibles épreuves la mémoire et le jugement ; les innombrables types de masques protecteurs aussitôt démodés que perçus ; les réveils brusques en pleine nuit, quand un planton apporte le message téléphoné d’extrême urgence : « vent d’Est, attention » ; l’obsession que produisent à la longue les nuages qui courent, les girouettes qui