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certainement y restera chose inconnue. Elle est inutile. Ces milliers de soldats viennent d’eux-mêmes s’offrir. Il en vient de jeunes et de vieux, il en vient de la plaine et de la montagne, de la Nouvelle-Ecosse et du Yukon, de la Colombie anglaise et du Labrador, il en vient de là boutique et du bureau, de la pêcherie et de la ferme, de la scierie et du moulin. Durant le mois de décembre 1915, il en venait encore en moyenne mille par jour.

Tout concourt à exalter en eux le sentiment du devoir, Dans certaines villes de l’Ouest ceux qui ne s’enrôlent pas sont montrés au doigt. Les associations féminines, non moins nombreuses et non moins actives qu’en Angleterre, ont leurs missionnaires qui vont de porte en porte prêcher la guerre sainte et battre le rappel. Comme en Angleterre, comme en France, les femmes donnent l’exemple du sacrifice. L’une d’elles avait un fils de dix-huit ans, dont le recrutement n’avait pas voulu, en raison de sa petite taille ; loin de s’en réjouir, elle alla trouver le commandant et lui dit : « Pourquoi ce refus, pourquoi une si stricte observation des règlemens quand nous avons besoin de toutes les bonnes volontés ? Je connais douze jeunes gens de la même taille que mon fils : prenez-le, et je vous amène les autres. » Tous furent pris. — Une jeune fille n’accepterait plus le bras d’un jeune homme en habit noir ou en smoking. Seul, le khaki est en honneur. Il est porté même à la Chambre des Communes par des députés qui ont signé leur engagement et qui attendent leur affectation. Il y eut l’été dernier grande fête à l’Université Mac-Gill, à Montréal. Le duc de Connaught avait annoncé sa visite. Il inspecta l’hôpital installé dans les bâtimens du collège, et distribua des diplômes à une trentaine d’étudians en médecine qui allaient partir pour les hôpitaux du front. Il avait eu la courtoisie, en venant dans une Université, d’endosser la robe académique ; mais sous cette robe, que l’usage anglais est de ne pas boutonner, le duc, beaucoup d’étudians et plusieurs professeurs laissaient voir la tenue khaki.

J’ai sous les yeux deux grandes affiches, les mêmes qui tapissent tous les murs, en ce moment, dans la province de Québec.

L’une représente un soldat canadien, le bras droit levé, agitant sa casquette, et le bras gauche appuyé sur l’épaule d’un de nos fantassins en capote bleue et pantalon rouge ; derrière eux s’entrevoit, lointain défilé d’ombres chinoises, un régiment en marche. Tout en haut, en gros caractères rouges, cette