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bientôt on les envoya au Nord d’Ypres, dans un secteur tenu jusqu’alors — et avec quel inlassable héroïsme ! — par nos soldats. Ils avaient les Anglais à leur droite, vers Zonnebeke ; à leur gauche, entre Poelcappelle et Langhemarcq et jusque vers Steenstraate, des troupes françaises. Ils y étaient encore le 22 avril, quand se produisit l’attaque infâme, la première attaque avec gaz asphyxians[1].

Il faisait très beau temps, grand soleil, fraîche brise du Nord-Est. Tout à coup, dans la direction de Langhemarcq et Steenstraate, le nuage de lourdes vapeurs jaunes s’avança, roulant ses volutes, et les Allemands se ruèrent à sa suite dans les tranchées françaises dont ils n’avaient pas vaincu, mais empoisonné, assassiné les défenseurs. Ils parvinrent jusqu’au canal de l’Yser. La brèche était ouverte, et la gauche canadienne coin-posée de la troisième brigade se trouvait sans appui, en grand danger d’être tournée. Elle se rabattit en toute hâte, formant avec le reste de la ligne un angle droit dont la pointe était orientée vers Poelcappelle et dont les deux côtés couvraient Saint-Julien. Malgré le bombardement et malgré les vapeurs asphyxiantes dont l’effet se faisait sentir jusque-là, quoique moins fortement, la difficile manœuvre s’accomplit sans désordre. Il fallut toutefois abandonner quatre canons dans un petit bois à l’Ouest de Saint-Julien. Les Canadiens se battaient dans la proportion de 1 contre 5. Le soir, ils contre-attaquèrent, rentrèrent dans le petit bois, parvinrent jusqu’aux canons abandonnés que l’ennemi n’avait pu emmener et qu’il n’eut que la ressource de faire sauter. Pendant deux jours et deux nuits, la lutte se poursuivit, âpre, acharnée, furieuse.

Il semblait impossible qu’ils ne fussent pas débordés ; il y eut un moment où une de leurs batteries tirait dans un sens avec deux de ses pièces et dans le sens opposé avec les deux autres. Ils résistèrent obstinément, magnifiquement. Presque tous leurs officiers étaient hors de combat. Un bataillon ayant paru se troubler un peu sous les rafales, le lieutenant-colonel Burchill s’en vint, sa petite canne à la main, rallier tranquillement ses hommes, se mit à leur tête, et tomba mort devant eux. Ils l’aimaient ; ils bondirent avec des cris de rage, enlevèrent

  1. Ici encore je renvoie au livre de M. Aitken dont les récits sont ceux d’un témoin oculaire. Voyez aussi le Times des 26 avril, 1er et 5 mai, 28 juin et 13 juillet 1915.