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y ont suscité des inimitiés très violentes et très agissantes. Dans tous les milieux conservateurs, ou même modérés, — et non pas seulement dans les milieux cléricaux, — on en vient à redouter notre esprit révolutionnaire. On s’y habitue à considérer la France comme un foyer d’anarchie, non pas seulement intellectuelle, mais politique et sociale. L’Allemagne, au contraire, apparaît comme la personnification de l’ordre et de la discipline. Par là, surtout, on essaie de justifier la suspicion et l’hostilité qu’on nous témoigne. Mais ces esprits timorés, qui nous font si rudement notre procès, ne semblent point s’inquiéter de savoir si le germanisme sous toutes ses formes ne constitue pas, pour la foi catholique, un pire danger que la libre-pensée française, et si l’attitude du protestantisme allemand à l’égard du catholicisme sera encore demain, après la victoire qu’ils supposent, ce qu’elle est aujourd’hui, en pleine incertitude de l’avenir. Et puis enfin, quand on se vante d’être catholique, il ne faudrait pas abuser de cet argument de l’ordre et de la discipline imposés par des gouvernemens à poigne. Pour des conducteurs d’âmes surtout, quel aveu d’impuissance ! On a donc bien peu de confiance dans ses vertus apostoliques, puisqu’on fait appel au despote et au soudard pour évangéliser les peuples ? On se sent donc incapables de faire régner l’ordre dans les âmes, puisqu’on attache un si haut prix à l’ordre extérieur, garanti par la potence, le canon et les baïonnettes ?…

Mais, en dépit de toutes les prudences même plausibles, de toutes les rancunes même légitimes, il y a une question de morale, à laquelle des catholiques, quels qu’ils soient, ne peuvent rester indifférens. On a beau se flatter d’être avant tout des diplomates et des politiques, on n’en est pas moins d’une Église, dont la principale mission est d’être, sur cette terre, la vivante incarnation de la vérité et de la justice. Elle est aussi le refuge des âmes libres. Sa religion est une religion de liberté, qui a commencé par revendiquer contre César les droits de la conscience individuelle. Des Chrétiens vont-ils s’efforcer de lui ôter ce haut caractère, en essayant de la solidariser avec des Empires de proie et de tyrannie, pour qui la religion n’est qu’un moyen plus sûr et plus efficace d’enrégimenter les peuples ? Enfin, une nation a inauguré dans le monde une guerre ignoble, qui est la négation de tout le progrès moral réalisé par dix-huit siècles de christianisme. Elle a fait litière