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Flandres et à Verdun. Comme tout le secret de ses succès était dans sa mobilité, due elle-même à la facilité de ses communications qui lui permettait de se déplacer rapidement le long des lignes intérieures, une fois fixé, avec le temps, il est battu. Il est excellent que nous le sachions, le temps et l’espace travaillent pour nous : mais leur collaboration, qui nous rend la victoire finale infaillible, ne nous dispense pas d’agir. Agir pleinement, c’est faire soi-même ce que l’on fait et ne faire que ce que l’on veut. Ce n’est pas subir, c’est imposer. Ce n’est pas suivre, c’est conduire. Nous menons ! Voici, autrement que dans une phrase, le commencement de l’action, qui sera le commencement de la fin.

Les Russes se sont ébranlés les premiers, en réponse à la menace que, de ses repaires du Trentin, l’Autriche-Hongrie dirigeait contre Vicence et Venise. Cette menace même, que l’Autriche l’ait dessinée dans le moment où elle l’a fait; qu’elle l’ait entourée de tant d’éclat et de tant de bruit ; qu’elle ait appelé, si tôt et si haut, à la couronne de lauriers, avant la couronne de perles, l’archiduc héritier et, pour le triomphe de la famille, deux autres archiducs en-supplément, c’est une nouvelle preuve de sa naturelle et traditionnelle inaptitude à comprendre les choses et à les faire en leur saison. Mais, contrairement à sa nature et à ses traditions, tandis qu’à l’ordinaire elle est, selon le proverbe, en retard d’une idée, d’une année et d’une armée, dans la circonstance, elle s’est vue, par un orgueilleux délire d’imagination, en avance peut-être d’une idée, probablement d’une année, et certainement d’une armée. Elle a cru que la Russie, épuisée par les terribles saignées de 1915, ne pourrait plus remuer, que ce n’était plus que le corps gisant d’un géant aux membres disjoints, dont le souffle seul rendait encore un son de puissance, mais vain et dérisoire, et qui, plus il se relevait par soubresauts et comme par hoquets, plus il sentait et il annonçait l’agonie. À cette ruine d’un Empire colossal, tombé plus vite que ceux de l’histoire ancienne, l’Allemagne, à l’apogée de sa force, se contentait, avec dédain, d’opposer à peine cinquante divisions, pour sa part; très exactement, quarante-neuf. Elle, l’Autriche-Hongrie, le « brillant Second, » elle ne devait pas laisser à l’Allemagne prussienne tout l’honneur et tout le profit ; s’être défendue contre les Cosaques, avoir libéré de l’invasion moscovite ses provinces insultées, c’était, elle se le disait bien, un rôle d’autant plus modeste dans une pareille guerre que l’Autre, l’éblouissant Premier, ne se gênait pas pour le lui rappeler en chaque occasion; c’est par lui, plus que par elle-même, qu’elle avait été défendue, qu’elle avait été libérée; parce qu’il