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qui ne peut tenir dans le giron de Benaco tombe et se fasse fleuve en bas par les verts pâturages. Sitôt que l’eau se met à courir, ce n’est plus Benaco, mais Mincio qu’elle s’appelle, jusques à Governo où le Pô la reçoit. » Ce sont les lieux séculairement illustrés par la victoire, qui commandent « les plus fertiles plaines du monde, » les plaines lombardes. C’est cette ligne de l’Adige qu’illumina, dès son aube, la gloire du jeune Bonaparte, vainqueur à Lonato et à Castiglione, poursuivant le maréchal Wurmser du lac de Garde sur la Brenta, le battant à Bassano et revenant l’assiéger dans Mantoue; vainqueur ensuite d’Alvinczy au pont d’Arcole près de Vérone et à Rivoli, passant plus tard le Tagliamento derrière l’archiduc Charles, franchissant le col de Tarvis et ne s’arrêtant en territoire autrichien qu’à Leoben, à vingt-cinq lieues de Vienne. C’est le quadrilatère où se sont à tant de reprises réfugiés, comme des barons pillarde dans leur rocca, les Autrichiens filant devant la révolte des peuples opprimés, y gardant férocement l’entrée du couloir à demi souterrain qui pouvait être leur unique issue pour retourner chez eux ; le quadrilatère qui vit, en 1848, le geste libérateur du roi Charles-Albert. Bonaparte à Leoben et Charles-Albert aux portes du Trentin, il y aurait là pour l’Autriche de bons sujets de réflexion, si l’Autriche savait réfléchir. Mais elle préfère nier. Elle nie impudemment le fait, l’évidence et le jour. Ses départs en débâcle ne sont, à ses yeux aveuglés, que des « retraites volontaires. » Elle n’est chassée que parce qu’elle le veut bien. Et s’il lui plaît, à elle, d’être battue ? Tout dernièrement, le 2 juillet, après Czernovitz et Kolomea, après Arsiero et Asiago, l’officieuse Reichspost imprimait : « Le raccourcissement de notre front en Italie ne nous a pas fait abandonner, comme le prétendent certains stratèges d’estaminet à l’étranger, les points les plus importans du terrain conquis. Il suffit de regarder les positions dominantes où nous sommes établis pour voir que le coin que nous avons enfoncé dans la chair italienne y demeure où nous avons besoin qu’il soit. » Il y a des gens tellement habitués à parler par euphémisme qu’ils appelleraient la guillotine même un « raccourcissement du front ! »

Comme s’il était autrichien, le front allemand s’est aussi raccourci cette semaine, en France, au Nord et au Sud de la Somme. L’armée britannique, l’armée de Kitchener, a fait ses preuves. En liaison étroite et solide avec nous, elle martèle les lignes du prince de Bavière, les aplatit, les amincit, et les courbe, en attendant qu’elle les crève. Si elle ne paraît pas marcher à la même allure que nous, c’est pour des motifs que nous connaissons bien, et que les Allemands, peut-être,