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« Du regret, direz-vous ?… Non, pas même de la tristesse ! Seulement un peu de mélancolie de n’être pas au milieu de tous ceux que j’aime !

« Toute la tristesse de mes pensées est pour les meilleurs amis tombés au champ d’honneur, et qu’une amitié fidèle avait presque faits mes frères : Allard, Fayolle, autant d’amis chers que je ne reverrai plus !

« Ah ! quand le soir du 31 juillet, en ma qualité de Père Système de la promotion, j’eus prononcé, au milieu d’un silence religieux, le fameux serment de nous distinguer en ne mourant que gantés de blanc, ce bon Fayolle, qui était bien l’ami le plus enthousiaste que j’aie jamais connu, me disait en souriant :

« — Quel effet nous allons produire devant les Boches ! Ils seront tellement stupéfaits qu’ils ne tireront pas ! »

« Hélas ! pauvre Fayolle ! Il a payé cher à sa patrie la dette de son titre de Saint-Cyrien ! Et tous, ils tombent autour de moi, semblant se demander quand viendra le tour de leur Père Système pour que Montmirail, entrant chez Dieu, soit béni au complet…

« Mais, trêve aux lamentations inutiles, n’est-ce pas ? Ne pensons qu’à notre France nécessaire, impérissable, éternelle ! Et, par cette belle nuit de Noël, croyons plus que jamais à la victoire…

« Il faut encore, mademoiselle et amie, me pardonner cet affreux gribouillage. Voulez-vous aussi me laisser espérer une réponse prochaine et permettre au jeune officier français de baiser très respectueusement la main de la jeune fille de France à l’âme grande et au cœur généreux ? »

Le 8 avril 1915, il tombait à son tour.

Ah ! que le panache, à toutes les époques, a coûté cher à la France ! On doit s’incliner devant l’austère sévérité des grands chefs qui désapprouvèrent la générosité de ces enfans trop prodigues du trésor de leur vie. La guerre réserve à des conducteurs d’hommes assez d’occasions utiles de se dévouer pour qu’ils ne se complaisent pas à provoquer d’avance le destin. Mais comprenons bien que ces conducteurs d’hommes sont des enfans. La circonstance soudain les oblige. Il leur faut conquérir leur autorité. Par la science ? Par l’expérience ? Ils n’ont à leur service que de s’imposer par la bravoure, en osant quelque chose d’exceptionnel.