Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

internationaliste qui nous donne la volonté de sauver la France ! »

Ils ont tous une haute moralité commune : le besoin et l’orgueil de ne verser leur sang que pour une cause juste.

Pour nous hausser jusqu’au sommet où vivent les soldats de cette guerre, quel plus beau symbole de l’entr’aide spirituelle qu’ils se donnent que le dévouement du lieutenant-colonel Driant ? Driant se porte, au péril de sa vie, auprès d’un de ses lieutenans blessés, et sous le feu de l’ennemi, il reçoit sa confession et lui donne l’absolution.

Cette terre des tranchées est sainte ; elle est tout imprégnée de sang, elle est tout imprégnée d’âme…

Cette fraternité, cette vie spirituelle prolongée durant deux ans de guerre, arrivent à donner à certaines unités militaires une âme collective. Certaines de ces âmes paraissent si belles, dégagent un rayonnement si fort, pareil à celui des saints, que d’autres groupes reçoivent un accroissement rien qu’à les admirer.

« C’était en Artois, au printemps de 1915, me dit un jeune soldat, Roland Engerand. Mon régiment arrivait d’un secteur tranquille de l’Aisne, où nous avions fait peu de pertes. La veille, nous venions encore de recevoir un renfort de la classe 15. On nous avait tout habillés de neuf. Nos uniformes d’azur n’avaient pas eu le temps d’être ternis par la boue, la poussière et la pluie ; nous débordions d’enthousiasme ; nos colonnes, aux cadres complets, avec un officier ou aspirant à la tête de chaque section, allongeaient fièrement leurs trois mille deux cents hommes sur la route. On nous avait dit que nous nous dirigions vers un coin sacré, où tous les yeux étaient tournés. La trouée tant rêvée avait été, quelques heures, virtuellement faite, grâce à l’héroïsme inouï des divisions « de fer » et « d’airain. » Nous allions relever ces troupes, et, en montant aux tranchées par le plus beau crépuscule, nous nous demandions avec un peu d’inquiétude si nous serions à la hauteur de pareils héroïsmes, car une telle succession est lourde.

« Et soudain, voilà que sur la route, dans le soleil couchant qui dorait toutes choses, un fort groupe nous apparut. Des soldats venaient lentement, sans hâte, sans bruit. Des hommes en haillons, portant encore de vieux uniformes bleu foncé, tout déchirés et salis de boue et de sang ; des fusils rouilles et