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plus puissans parmi les princes germaniques. Parmi ces Empereurs quelques-uns sont sincères dans leur dévouement aux intérêts généraux de la famille chrétienne, mais, même chez ceux-là, domine la race, une race qui n’est pas celle des Empereurs francs. De là leurs premières mésintelligences avec la papauté qui, par ses enseignemens et ses censures, leur devient incommode. Ils veulent que son autorité, au lieu de les avertir et de leur résister parfois, leur obéisse toujours, et ils prétendent faire les Papes. Par-là ils prouvent leur inintelligence de la force morale, et désorganisent au profit de la puissance matérielle tout l’équilibre de la société chrétienne. Les deux chefs dont l’accord devait la tenir en ordre la troublent de leur lutte : quand l’Empire est le plus fort, il avilit par ses choix la papauté ; quand la papauté l’emporte, pour rester libre, elle affaiblit l’Empire. Celui-ci déjà esquive ses devoirs de charge. C’est la défection des empereurs allemands qui paralyse les croisades. Ils préfèrent, aux expéditions lointaines par lesquelles on ne pouvait que délivrer des peuples, des expéditions moins stériles qui leur permettront d’acquérir ou de rançonner des provinces à leurs portes.

Par les descentes des Empereurs allemands en Italie se rompt le scrupule d’honneur qui, dans les desseins de la Papauté, devait rendre inviolables aux princes chrétiens les possessions chrétiennes. L’exemple tentateur sollicite ceux-ci d’ambitions proches. L’Italie ne leur a pas en vain été montrée comme une proie et, dès le XVe siècle, le choc des cupidités a changé en adversaires l’Italie, la France et l’Espagne, les trois peuples dont la solidarité avait donné sa base solide à l’ordre chrétien. L’Eglise, de moins en moins puissante sur la politique, ne garde plus que sur la morale une autorité affaiblie, mais qui encore gêne trop l’Allemagne, toujours la plus indocile aux disciplines de Rome. Et d’Allemagne s’élève au XVIe siècle le premier cri de la révolte qui va rompre l’unité religieuse. Le peuple germanique a suffi à ruiner ce que la collaboration des races latines avait édifié. Il semble, il est vrai, épuisé et comme dissous dans sa victoire. Ses petits États servent aux rencontres et aux pillages de voisins plus forts. Mais il a accompli l’essentiel : il a enlevé aux peuples la communauté de croyance, le sentiment d’une parenté, la sollicitude d’un ordre général. Chacun d’eux n’est plus occupé que de soi, tient les autres peuples pour