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en effet nous deviennent lointaines, moins par la distance des jours que par l’écart des pensées entre elles et nous. L’Espagne se sent contemporaine de son passé, et les plus vieux de ses jours ne lui semblent que les aînés de ses jours présens.

Sur tous ces jours se leva l’intelligence révélée par l’Évangile aux hommes. Le sentiment religieux est pour certains une de ces caches obscures et closes qui, dans les vieilles demeures, ne communiquaient pas avec le reste de l’habitation et qu’on n’ouvrait qu’à rares intervalles. Le sentiment religieux est pour l’Espagnol la lumière même de la maison. Il vit en familiarité avec la joie de ses croyances, et cela se reconnaît à son ardeur pour les solennités de son culte. Moins la préoccupation de la vie future est habituelle à l’homme, plus elle l’attriste et l’assombrit : ce n’est pas la gravité que les cérémonies religieuses accroissent en l’Espagnol, elles détendent ses traits, elles déraidissent sa réserve. Il est heureux de ce qui lui confirme sa dignité la plus chère et ses espoirs les meilleurs. Sa foi lui donne des fêtes où, comme David, il danse devant l’arche. Cette joie n’empêchait pas David d’en avoir connu de moins pures et, de même, je ne prétends pas que, malgré la ferveur de son catholicisme, l’Espagnol soit tout zèle et perfection. Il a le sang chaud pour le plaisir comme pour la querelle et n’est pas toujours exemplaire. Mais si en lui la religion a à redouter la révolte des sens, elle n’a pas à craindre la rébellion de l’esprit.

C’est chez nous que le désordre des mœurs a conduit à celui de l’incrédulité et que le dépit contre des commandemens importuns refuse l’existence à leur auteur. C’est sous son nom espagnol un Français que le don Juan de Molière. C’est, venu avant terme, un fils du XVIIIe siècle, quand ce mépriseur d’hommes donne au pauvre « par amour de l’humanité, quand, pour la joie du scandale, il s’obstine aux désordres mêmes dont il est las, quand il provoque la puissance divine par le sacrilège où il périt en révolté. Le don Juan d’Espagne aussi commence par courre les filles pour le plaisir de la chasse et braconne le gibier qu’il aime ; mais, même au plus fort de la passion qui l’emporte, il se sait hors de la voie droite ; la première reprise de sa volonté le trouve repenti ; la victoire de sa conscience le change en pénitent. Il dépose sur l’autel où on la voit encore son épée, aussi son indépendance, aussi sa fortune et, pour