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de tant de soldats, l’image de la guerre semblait bien lointaine. Personne ne paraissait y songer. Soudain une voiture découverte passa. Flanquée de sa gouvernante, une petite princesse de la famille royale, très jolie et très sage, faisait sa promenade. On la reconnut. Des hommes se levèrent. Un mouvement de foule se porta vers elle. Les têtes se découvrirent, tandis que l’enfant, d’un petit geste de la main, répondait avec une grâce déjà souveraine. Elle disparut très vite.

Ce ne fut qu’un remous imperceptible, une minute d’agitation dans la béatitude de la flânerie. Déjà les bersagliers s’étaient rassis sous la statue du débonnaire Empereur, les femmes et les bambins s’accoudaient de nouveau à la balustrade de l’escalier, s’amusant à regarder, dans leurs cages, les deux animaux symboliques du Capitole : l’Aigle et la Louve. Un peu plus bas, des étrangers arrêtés devant la stèle de marbre, où sont gravées les strophes lyriques de Carducci, déchiffraient la fameuse invocation à la Rome antique :


……………………..
Et toi, de la Colline fatale, à travers le silencieux
Forum, tu tends tes bras marmoréens
A ta Fille libératrice,
Montrant les colonnes et les arcs de triomphe,
Les arcs de triomphe qui attendent de nouvelles victoires
Non plus de Rois, non plus de Césars,
Et non plus de chaînes attachant
Des bras humains sur des chars d’ivoire,
Mais le triomphe, ô Peuple d’Italie,
Sur l’Age noir, sur l’Age barbare,
Sur les Monstres, — par lequel, avec une sereine
Justice, tu affranchiras les nations.
O Italie, ô Rome, ce jour-là, dans l’air tranquille,
Le ciel tonnera sur le Forum, et des cantiques
De gloire, de gloire, de gloire
Courront dans l’azur infini.


Certes, parmi les soldats qui étaient là, nul ne se souciait de la stèle de marbre, aucun peut-être ne comprenait les vers de Carducci. Aucun de ceux qui devisaient tranquillement sous la statue de bronze ne voyait dans ce pacifique Imperator le vainqueur de l’énorme Germanie. Et les femmes arrêtées devant les deux bêtes de proie, suivant d’un œil curieux les évolutions de la Louve dans sa cage ou les sautillemens de l’Aigle sur son