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même la République ! Ce serait une lâcheté, en face de l’ennemi, au lendemain d’une défaite ; je ne comprendrais rien de plus honteux. Mais l’illusion du gouvernement a été complète ; l’incapacité semble si évidente, les revers sont si poignans, le ministère a été si maladroit et si faible, que tout est possible. Il faudrait une victoire ; mais quel régime que celui où une victoire est nécessaire !… » Il redoutait la révolution très violente, avec une « poussée de l’Internationale. » Elle fut remise à trois semaines, et la « poussée » à quelques mois. Il pensa donc avoir quelque temps devant lui, et partit pour la mer.


III

Malgré tout, il a quelques bons jours sur la jolie plage en croissant de la gracieuse côte vendéenne. C’était un cœur sensible que cet homme vif, ardent, un peu colérique. Il n’aimait rien tant au monde que sa vie de famille, et surtout il adorait les enfans. En quittant ses élèves à la fin de la dernière classe, il disait : « Et maintenant je vais voir mes petits-enfans ! » Et bonsoir Cicéron, le lycée et les « idées générales. » En ce tragique mois d’août 1870, il débarque de Paris avec tout un assortiment de vêtemens d’enfant, chapeaux, pèlerines, et de petits outils pour jouer au sable.

Là-bas aussi, avec sa jeune famille, il retrouvait des amis d’Angers, et tous ses souvenirs, et toute sa jeunesse. Le caractère angevin est une marque qu’on n’efface pas. Trente ans de Paris ne l’avaient pas fait perdre à Aubert. Une bonhomie toute ronde se faisait jour de temps en temps, avec la gaieté et la plaisanterie assez vive, mais sans méchanceté. Ajoutez une convivialité chaleureuse, à laquelle il s’amusait à donner une allure un peu rabelaisienne. Il vantait la bonne chère d’un ton lyrique, et non parfois sans surprendre les gens. Il ne craignait pas d’ailleurs de les mystifier quelque peu. Un soir, à dîner, au Ministère de l’Instruction publique, où la cuisine alors était renommée, il a pour voisin un jeune homme lettré, qui attendait de lui quelque propos grave ou délicat ; il lui commente le menu, et s’étonne de le trouver si froid sur la matière : « Mais le diner ! dit-il ; mon jeune ami, Balzac me disait : « Le dîner, c’est l’avenir de la journée ! »

C’est dans cette joviale humeur qu’il eût voulu se retrouver