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habité aujourd’hui par mille gardes forestiers à qui nous trempons la soupe, un peu à nos dépens. On attend 100 000 mobiles que les particuliers logeront. »

Il faut vraiment qu’Aubert se soit senti bien rassuré, car sa lettre suivante (7 septembre) nous fait comprendre qu’il n’a pu résister à la tentation, et qu’il est. retourné deux jours à Angers. Il revient, est-il besoin de le dire, chargé de victuailles, fruits, fromages, volailles. Il a respiré : il va mieux. Mais pendant qu’il n’était pas là, le « grande dépêche » est venue, grande et fatale ; les malheurs publics sont entrés dans une phase plus douloureuse ; le siège est devenu presque une nécessité. Paris a fait une révolution. Le bon patriote l’avait prévue d’avance, et d’avance elle l’avait indigné. Elle l’inquiète pour l’avenir. Il prévoit de sombres jours. Il sent le levain de l’émeute dans le peuple des faubourgs.

« Que vous dire de l’état des esprits ? Dans quelle résolution, et avec quelles espérances aborde-t-on cette grande épreuve du siège ? Qu’y a-t-il de possible dans l’état matériel de la défense ? Toute la question se résume en un seul point : tenir trois semaines. Encore faut-il compter qu’un mois ou six semaines seront nécessaires, en attendant qu’une armée se forme, qui puisse tourner autour des assiégeans, couper leurs communications, intercepter leurs convois et laisser au temps le soin de les ruiner. Toujours la même question : y a-t-il des armes ? On ne rencontre dans les rues que gardes nationaux manœuvrant ou allant étudier leur poste de combat ; mais toute une partie de la population reste étrangère à ces préparatifs et murmure des paroles hostiles contre ce qu’on est convenu d’appeler des riches. Le gouvernement, si ce qui existe mérite ce nom, n’inspire qu’une confiance médiocre ; on se sent mal à l’aise derrière ces hommes qui ont préféré saisir le pouvoir par un coup de main, au lieu de rester unis à tous dans un suprême et patriotique effort. Tout ce personnel est misérable. Tant de noms de nécessiteux incapables, qui se décernent toutes les places ! ce spectacle soulève le cœur ; on ne sent pas la patrie, et c’est par un effort de résignation qu’on se range derrière ces gens qu’aucun pouvoir régulier n’autorise.

« Quant aux mesures prises, on s’en tient à la levée en dehors des hommes mariés avec enfans ; il est déjà presque impossible d’armer les autres. On parle de 90 000 fusils achetés