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VIII

Sa confiance allait recevoir une rude atteinte. La fin d’octobre et les premiers jours de novembre furent lugubres. Ce fut l’échec du Bourget, puis la nouvelle de la chute de Metz. Tout cela effaçait la lueur d’espoir qu’avait apportée M. Thiers, revenu de sa laborieuse tournée d’Europe : on avait entrevu un armistice, l’élection d’une Assemblée, l’avènement d’un pouvoir régulier. Tout cet espoir sombra.

L’émeute du 31 octobre est le plus noir des souvenirs, pour tous ceux qui ont traversé les jours du Siège. J’entends encore, tandis que j’écris, les coups rythmés du tambour, battant le rappel dans mon quartier à la tombée du jour, à l’heure où je rentrais du collège. Je vois le prompt rassemblement de mon bataillon, sa marche silencieuse, dans les ténèbres profondes où le soir sans gaz plongeait alors Paris ; l’arrivée, par la place Lobau, à l’Hôtel de Ville, où nous croyions le gouvernement encore captif. Je respire encore l’air étouffé des salles et des escaliers de l’Hôtel de Ville ; je vois serrés, empilés les uns contre les autres les uniformes bariolés, et les visages rouges et ruisselans, les yeux hors de la tête, les gueules hurlantes ; ce sont des bousculades, discours, cris, poussées folles ; c’est une nuit d’allées et venues soudaines, de rixes auxquelles on ne comprenait rien ni ne pouvait rien comprendre. Et puis, l’émeute vaincue, ce retour triomphal dans nos quartiers, et ces lendemains, ces jours de détente, de cordialité fraternelle : chacun respirait, reprenait vie, espoir !

Aubert n’a pas vu les bagarres de l’Hôtel de Ville. Il se trouva au dehors, quelque envie qu’il eût d’être dedans. Mais il donne bien l’image du Paris raisonnable et patriote en ces terribles heures. A vingt reprises différentes, l’émeute avait menacé. Je sais combien on la craignait et la détestait dans les bataillons du centre de Paris[1]. On cite ce mot de Sarcey, bon témoin de la bourgeoisie d’alors : « Nous haïssions davantage les Prussiens, mais nous redoutions les Bellevillois. »

L’impression qu’Aubert reçoit de l’émeute du 31 octobre est,

  1. Le bataillon qui a dégagé le gouvernement de la Défense nationale est le 106e L’arrestation des chefs de l’insurrection a été opérée par les 15e, 16e et 17e des sixième et septième arrondissemens. (Je faisais partie du 17e.)