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pour qui sait tout, une image diminuée en partie et en partie outrée des événemens ; elle est bien conforme à l’opinion d’alors. Il donne d’ailleurs des détails qui semblent inédits ; l’un est curieux, et se rapporte à un homme dont aucun trait de vaillance et de présence d’esprit ne paraîtra extraordinaire, le comte Horace de Choiseul.

« Dès le matin, on avait appris que le Bourget, occupé par nos troupes et attaqué dans la journée de samedi par les Prussiens, avait été repris par la faute du général de Bellemare, qui s’était cru, avec deux canons, en force contre l’artillerie ennemie, quarante canons. Dans cette affaire, il a dû mourir sept ou huit cents hommes, sans compter les prisonniers. Vous n’imaginez pas combien cette perpétuité de guignons et de fautes a rendu ce dernier échec douloureux. Pour accroître encore notre chagrin, arrive l’affaire de Metz dont toutes les douleurs vous étaient connues avant de parvenir jusqu’à nous. Enfin, à deux heures et demie, comme je sortais du collège, où, sous l’impression de tant de coups, j’avais été causer avec Girard, près du pont du Châtelet, je vois accourir une foule affolée. On crie : « Aux armes ! » Dix mille gardes nationaux courent à leurs fusils. Deux mauvais sujets avaient décharge des revolvers sur la place de l’Hôtel-de-Ville, et toujours le même cri : On égorge nos frères, on tire sur le peuple ! avait retenti dans Paris. Un quart d’heure après, cent gamins escaladaient les grilles et le gouvernement prisonnier était aux mains de Flourens, Blanqui, Delescluze, Mottu et Millière. La moindre imprudence, un ordre mal donné ou mal compris, pouvait amener les plus grands malheurs. Il faut dire que la population tout entière s’est levée en masse contre ces drôles, que quarante mille hommes ont cerné l’Hôtel de ville, délivré le gouvernement, et enlevé les émeutiers. Mais ils se sont retirés, ces misérables, comme des gens qui ont manqué leur coup ; ils sont libres, ils se moquent de nous qui, par conscience, ne voulons pas les punir. Hier, on a voté pour savoir si le gouvernement de la Défense nationale avait ou non la confiance publique. En face de l’ennemi, au milieu de toutes ces misères et de toutes ces hontes, voilà où nous réduit l’effronterie de quelques gredins !

« Depuis, l’armistice est devenu la préoccupation générale ; on sent qu’une assemblée peut seule prendre en mains les