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publique et comme en dignité humaine, pour celui qui l’adresse un sentiment de la dette contractée et une promesse de patriotique émulation.

Le blessé eut un tour de faveur, et c’était justice, dans la sollicitude de l’école. Mais, dès l’automne de 1914, la guerre se prolongeant, l’hiver menaçant, la pensée des misères qui allaient être endurées apparut brusquement intolérable, et alors la France scolaire se mit à tricoter, ainsi d’ailleurs que la France entière. Ce fut comme un vœu. Cette ardeur à prendre l’aiguille dut au caractère mystique qu’elle revêtit de prendre des proportions d’événement, et de mériter une place dans l’histoire si pleine de ce temps. La France fut donc un vaste ouvroir. Mais, dans chaque village, c’est l’école qui est le quartier général de la laine. C’est là qu’on se réunit pour s’entraîner, et aussi se ravitailler. La provision de laine s’épuise-t-elle dans une école laïque, alors on voit un curé partir à bicyclette et faire une rafle dans toutes les merceries des environs. La laine eut son union sacrée. A un an de distance, on ne peut relire sans amusement les divers journaux pédagogiques qui ressemblèrent, durant quelques mois, à des journaux d’ouvrages pour dames. En visitant une école, on croyait visiter un magasin et un atelier tout à la fois : des paquets dans tous les coins, avant ou après la confection, et tous tes doigts au travail. On a fait des statistiques de la quantité de laine employée et du nombre d’objets envoyés : elles sont formidables et sans cesse à refaire. Les petits doigts des écolières ont fait ce qu’aucun service d’Etat ni aucune industrie n’eût pu faire, et économisé des millions…, et nos soldats eurent moins froid.

A la campagne, chacun travailla d’abord pour son soldat. Ensuite une sollicitude collective naquit : il faut penser à ceux à qui personne ne pense. Mais le particularisme eut sa prompte revanche : on veut pouvoir suivre en idée le passe-montagne ou le chandail où l’on a mis, avec la laine, tant d’intentions. Ainsi des régimens devinrent les cliens particuliers d’un lycée. C’est le lycée du département dont tel régiment est originaire ; c’est encore celui où le hasard l’a fait cantonner, et où le souvenir de son numéro est orgueilleusement gardé. Les colonels des régimens oubliés adressent leurs réclamations aux chefs universitaires comme à leurs fournisseurs obligés, réclamations toujours écoutées. Il y eut cependant des demandés difficiles à