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de préjudicier aux pays où la législation est la plus rude : un Français ne peut acheter des peaux en Argentine, où les détenteurs sont Allemands, tandis que les Anglais le peuvent et nous les revendent avec bénéfice. Ils pouvaient charger dans les ports pour des maisons allemandes de l’Amérique du Sud, mais non pas nous.

Or, les Alliés ont intérêt à empêcher les Allemands établis en pays neutres, au Brésil par exemple, de trafiquer et de gagner de l’argent ; parce que cet argent sert à l’Allemagne pour se créer des moyens de change : chaque jour, dans les radios de Berlin que nous interceptons au passage, se retrouve cette phrase de la Deutsche Bank : « Transportez le crédit de 1, de 2 millions que nous avons à votre banque, dans telle ou telle banque de New-York. » En Russie, il y a défense de faire aucun paiement direct ou indirect aux ennemis sur territoire russe, et aussi défense d’exporter du numéraire ou des titres pour plus de 500 roubles ; n’empêche qu’il y entre, par le détour d’une voie neutre, avec paiement de doubles douanes, nombre de marchandises allemandes.

Il est d’ailleurs des dérogations nécessaires aux prohibitions d’entrée et de sortie ; chaque pays en reste juge et conserve sa liberté à cet égard. Pour les marchandises d’outre-mer, entreposées dans les ports alliés à leur arrivée en Europe, — tel le cacao, pour la distribution duquel Londres, depuis la guerre, a remplacé Hambourg, — si l’on rationnait les neutres trop juste, de larges consignations iraient ailleurs et échapperaient ainsi au pouvoir de limitation de nos amis. Les neutres aussi réexportent certaines matières transformées : 90 pour 100 du cacao reçu d’Angleterre par la Hollande y reviennent à l’état de chocolat, additionné de sucre… probablement allemand.

Mais il était sage de centraliser les règles de sortie : ainsi le caoutchouc, dont la Grande-Bretagne se trouve être par sa marine le principal marché, était octroyé beaucoup plus libéralement aux Pays-Bas qu’à la France, simplement parce que les permis n’étaient pas délivrés à Londres aux Alliés et aux neutres par les mêmes autorités. L’on devait également entre Alliés prendre des dispositions concordantes : le gouvernement français avait, dès le début, interdit l’exportation des résineux ; il était établi que les essences de térébenthine et les gommes entraient dans la fabrication du camphre synthétique, employé