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témérité, peut-être, — ne saurait comporter de longues explications techniques. Et pourtant, quand on parle d’arts plastiques, c’est-à-dire des différentes manières dont la pensée et l’âme humaine ont marqué de leur empreinte indélébile l’inerte matière, il faut bien entrer dans quelques détails sur les procédés d’exécution qui, non moins que les facteurs moraux, religieux, sociaux, sont à l’origine de tous les renouvellemens des grandes époques de l’art.

Depuis la fin des dernières invasions barbares qui avaient attristé le déclin du règne de Charlemagne et compromis, semblait-il, son prodigieux effort de restauration et de civilisation, aussitôt qu’un embryon d’ordre et de sécurité avait pu se développer, sous la protection des autorités provinciales qui, sur la rude enclume féodale, forgeaient déjà, sans le savoir, les diverses parties de la France future, un des premiers soins du clergé et des fidèles avait été de relever les églises brûlées par les envahisseurs et de ramener les reliques, précipitamment déménagées… Les récits des « translations » occupent dans la littérature du temps une place significative et sont riches en renseignemens sur les croyances, les mœurs et, çà et là, sur l’histoire de l’art.

Au début du XIe siècle, ce mouvement avait déjà pris assez d’extension et les effets en étaient assez appréciables pour qu’un moine de l’ordre de Saint-Benoit, c’est-à-dire d’un des plus grands agens de la civilisation du haut Moyen Age, — qui avait séjourné successivement dans les monastères de Saint-Léger de Champeaux, de Saint-Bénigne de Dijon, de Saint-Germain d’Auxerre et de Cluny, dans les centres d’information et de culture les plus renommés, — pût dresser comme le procès-verbal solennel, précis, poétique et charmant de cette renaissance ou plutôt de cette naissance de l’art chrétien occidental. Il note l’émulation générale à qui élèverait les temples les plus beaux et les plus riches, « comme si le monde, d’un commun accord, avant dépouillé ses antiques haillons, se revêtait d’une blanche robe d’église, » cette reconstruction universelle des sanctuaires, non seulement dans les évêchés et les monastères, mais jusque dans les plus petits villages (seu minora villarum oratoria), et non pas simple reconstruction, mais réfection en quelque chose de mieux (in meliora). On ne relit pas sans charme ce vieux texte de Raoul Glaber, mille fois et justement cité. En quoi