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découverte de la nature de toutes les composites grammaires décoratives jusque-là en vigueur, — qu’il faut aller se donner la joie de ce spectacle. A chaque détour de la route, un clocher vous invite et chaque sanctuaire vous révèle dans la disposition de son plan, de sa construction, dans le dessin des profils de ses arcs et le système de leur support, une recherche, un progrès, l’intervention d’une pensée active, ingénieuse et suivie. Le paysage est ennobli et comme consacré par cette présence universelle et réelle du travail humain voué à la plus noble tâche. C’est là que la civilisation française a ses titres de noblesse les plus authentiques, et c’est là naturellement qu’ont toujours porté, avec une rage significative, les coups des ennemis de cette civilisation. Avec quelle piété, après le grand jour de la libération et de la purification du territoire, nous reprendrons les pèlerinages en ce moment interdits, avec quelle émotion plus reconnaissante, de quels yeux mouillés de larmes, nous reverrons — et dans quel état ! — de Morienval à Tracy-le-Val, de Saint-Leu d’Esserent à Noyon, de Noël-Saint-Martin à Ourscamp, de Saint-Yved de Braisne à Soissons et à Laon, ces sanctuaires, deux fois saints, plus chers après l’outrage et la blessure, où la France créa pour la chrétienté une beauté nouvelle !


Il y eut un lieu, un jour précis où l’effort accumulé, le travail obscur et fécond de deux générations d’humbles architectes « français » se révéla dans les circonstances les plus solennelles, aux yeux de ceux qui, entre tous les contemporains, avaient qualité et autorité pour les comprendre et en tirer tous les effets utiles. Un des plus grands hommes du XIIe siècle, si riche en personnalités puissantes, l’abbé Suger avait, de son abbaye royale de Saint-Denis en France, observé tous les symptômes de cette élaboration d’un système nouveau. Du jour où il avait pris le commandement de la grande abbaye, — si vastes que fussent ses pensées, multiples ses charges, lourdes ses responsabilités, ministre d’Etat, théologien, administrateur d’immenses domaines, — il n’avait pas eu de soin plus constant et plus cher que l’agrandissement et l’embellissement de sa chère vieille église, qu’il croyait être encore celle de Dagobert. Ad augmentandum et amplificandum nobile manuque divina