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ce « printemps diapré de fleurs, verdoyant de feuillages » (floribus variis vernantem, gramine foliisque virentem) que le moine Théophile exhortait les artistes à multiplier sur les murs de la maison de Dieu pour inviter la créature à louer son Créateur et à le proclamer admirable dans ses œuvres (creatorem Deum in creatura laudant et mirabilem in operibus prædicant…).

En même temps, dans l’ébrasement des profonds portails, aux tympans, dans les statuettes des voussures, dans les petits bas-reliefs anecdotiques des soubassemens, se déploient progressivement les effets simultanés d’une adresse technique de plus en plus souple et d’un esprit d’observation de plus en plus curieux de la vie, hardi à l’interroger. Un évêque de Mende, Guillaume Durand, à la fin du siècle, notait avec bonhomie, et sans paraître y attacher aucune signification inquiétante, cette émancipation, et il s’en remettait à Horace pour reconnaître aux artistes comme aux poètes un droit égal de choisir et d’oser : quidlibet audendi. Les conciles eux-mêmes n’avaient-ils pas proclamé que si la discipline et la doctrine appartiennent à l’Eglise, l’art est abandonné aux artistes ?

Il est tout à fait inutile de chercher ailleurs que dans la continuelle expansion de l’art et de l’esprit entrés en contact avec la nature l’explication de cette liberté croissante qui n’enlève rien de son orthodoxie à la doctrine dont les imagiers sont les interprètes, les libres traducteurs ; elle les guide sans les asservir ; ils la rendent, par leurs transpositions, plus accessible aux illettrés, plus vivante et plus populaire ; ils sont comme les éditeurs autorisés d’un grand catéchisme pittoresque et plastique que la mère de François Villon lira plus couramment que les livres. Comment parler d’une réaction contre les ordres monastiques, d’un antagonisme entre leur art de cloître et un art « laïque » alors qu’ils avaient, en la personne d’un de leurs chefs, du grand Suger, présidé officiellement à la naissance de celui-ci ? alors que, tant Clunisiens que Cisterciens, ils furent les agens les plus actifs de sa propagation en dehors des frontières et firent élever eux-mêmes, pour leur compte, quelques-uns des chefs-d’œuvre de l’architecture nouvelle : Pontigny, Longpont, Saint-Wandrille, Ourscamp, cette admirable abbatiale cistercienne dont les ruines se dressaient encore il y a quelques mois dans un incomparable et1 fraternel décor