Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suprématie. Il n’est pas certain que Dante y soit venu, malgré la légende ; mais saint Thomas d’Aquin, Roger Bacon, Albert le Grand comptèrent parmi ses écolâtres. Otto de Freising, dans la préface de sa Chronique, constate que désormais les « sciences ont émigré dans les Gaules ; » César d’Heisterbach, dans ses Dialogues, proclame que la cité de Paris est la source de la science universelle, fous totius scientiæ ; Guillaume d’Armorique admire la foule des étudians avides d’apprendre qui se presse autour des chaires magistrales, nec legimus tantam aliquando fuisse scholarium frequentiam Athenis vel Ægypto !… Les rues du quartier des écoles « retentissaient à tous les carrefours d’un fracas de disputes. » Jacques de Vitry, dans son Histoire occidentale, compare Paris à une source d’eaux vives fécondant les vergers spirituels de toute la terre : Civitas Parisiensis, fons hortorum et pnteus aquarum vivarum irrigabat universæ terræ superficiem. La France est « le four où cuit le pain intellectuel de l’humanité. »

De toutes parts, on compile les Sommes, dont saint Thomas d’Aquin rédigea la plus célèbre, mais dont les manuscrits innombrables montrent qu’elles répondaient à un besoin universel des esprits de classer, d’inventorier, d’ordonner, comme dans une Encyclopédie méthodique, tous les trésors diffus des connaissances du temps. — Et l’iconographie de nos cathédrales correspond aux grandes divisions du Speculum universale de Vincent de Beauvais, le précepteur de saint Louis.

La scolastique, qui s’enliza plus tard en de vaines formules mécaniques, fut d’abord un magnifique effort pour conquérir la foi, pour la posséder par l’intelligence autant que par la conscience, et cette double recherche de la foi par l’intelligence et de l’intelligence par la foi, fides quærens intellectum, intellectus fidem, cette noble dialectique éleva, délia, féconda les esprits. les pauvres imagiers qui, certes, n’avaient pas suivi les cours des universités, en reçurent indirectement le bénéfice ; leur libre interprétation, leur vivante transposition plastique de l’histoire sacrée ne fut pas sans en garder comme un reflet.

Enfin, privilège suprême, le trône de France fut occupé par un Saint, et son prestige intellectuel et politique se compléta s’ennoblit d’une pure splendeur morale. Après le vainqueur de Bouvines, qui avait abattu l’orgueil et désarmé la rapacité d’un