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du XVIIIe et du XIXe siècle, d’envoyer sur le continent des forces importantes, qui consacrèrent la réputation du soldat anglais, et qu’en 1804, à l’époque de « la grande terreur » de l’invasion napoléonienne, elle forma ces corps de volontaires qui devaient suppléer à l’insuffisance ou à l’absence de l’armée régulière et rendre inviolable le sol britannique[1]. . Cependant le principe du service obligatoire existait en Angleterre depuis les temps héroïques de la formation de l’Etat. La milice constituait l’appel aux armes des hommes valides de dix-huit à quarante-cinq ans ; le Parlement l’avait sanctionné législativement ; mais à mesure que s’affirmaient, avec la sécurité extérieure du royaume, les libertés publiques et privées, le bill de la milice fut irrévocablement suspendu chaque année.

Les modifications profondes apportées dans les régimes politiques et militaires de l’Europe, en 1866 et 1870, par les victoires de la Prusse et par la création du nouvel Empire allemand, laissèrent trop longtemps l’Angleterre indifférente. Confiante en sa supériorité maritime, elle s’enorgueillit de ne pas entrer dans la voie ruineuse des nations armées. Et, malgré les nombreux avertissemens de ces dernières années, malgré que le danger de l’impérialisme allemand, fût compris de beaucoup d’Anglais[2], malgré le réveil du sentiment national en

  1. Ces corps de volontaires avaient disparu en 1907 avec la création de la Territorial army. Ils viennent de se reconstituer sous la forme de bataillons de volontaires ; ils sont composés d’hommes ayant pour la plupart dépassé l’âge du service militaire. Les incursions des zeppelins n’ont pas peu contribué à provoquer les enrôlemens qui ont afflué, en particulier dans le Lancashire et le Yorkshire. Les volontaires concilient leurs occupations civiles avec les obligations d’un service périodique. Équipés et entretenus à leurs frais, ils contribuent à la garde des voies de communication, des usines de guerre, et ont formé un corps d’automobilistes. En leur rendant leur titre officiel, le gouvernement libère pour le front des effectifs correspondans et considérables de réserves régulières et augmente ainsi l’armée de campagne.
  2. En 1908, à Edimbourg, lord Rosebery avait eu beau signaler le danger et s’écrier : « En ce temps où les paroles suivent les coups au lieu de les précéder, il est nécessaire d’être absolument prêt. Le patriotisme, si la nation s’éveillait soudain en présence de l’ennemi, ne fournirait ni troupe exercée, ni armes, ni stratégie ; tout cela doit être préparé d’avance. » Lord Esher s’était en vain dépensé pour faire comprendre à ses concitoyens et à ses collègues du Parlement que, dans l’ « inévitable combat qui attendait l’Europe avec une puissance numériquement supérieure et mieux organisée pour la guerre que Frédéric et Napoléon ne le furent jamais, » les Puissances insuffisamment organisées seraient condamnées. Le plus populaire des hommes de guerre, lord Roberts, avait désespérément plaidé la même cause dans tout le Royaume-Uni ; l’attitude passive du peuple et du gouvernement était restée la même. En Angleterre, on avait le culte de la marine, mais on ne s’intéressait pas à l’armée. On votait son budget sans en approfondir les détails, et l’existence de quelques troupes de parade, à montrer, dans la plaine de Laffan, aux chefs d’État étrangers en visite, paraissait suffire aux préoccupations du peuple anglais. (René Puaux : L’Armée anglaise sur le continent.)