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permanente et générale aux armées de la République; » et c’est pourtant ce qui, depuis des semaines, soulève les passions au Palais-Bourbon Mais qu’il soit prudent ou téméraire, utile ou pernicieux, d’instituer et d’organiser cette délégation, de quelque tonneau qu’on la tire et de quelque étiquette qu’on la pare, c’est ce dont la Chambre paraîtra plus tard ne s’être pas assez préoccupée ; et c’est pourtant ce qui doit inquiéter tout Français qui, voulant forcer le victoire, veut, comme le veut la raison, — raison d’État et simple raison, — conserver ou créer les conditions de la victoire. La preuve est faite une fois de plus qu’à prendre les mots autrement que dans les congrès des partis et dans les couloirs, le point de vue parlementaire n’est pas toujours le point de vue politique.

Nous aurons donc, sauf accident, une délégation de députés chargée d’une mission de contrôle permanente et générale. Le bloc de marbre où on la taillera est déjà devant la Chambre, qui s’en montre fort embarrassée. Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? Directs ou à deux degrés, choisis par elle sans intermédiaire, désignés par les commissions, les bureaux ou les groupes, elle souhaite et redoute en même temps, — les uns le désirent, les autres le craignent, — que ses délégués rappellent, et peut-être imitent les « représentans du peuple en mission près les armées, » de 1791 à 1797. Car l’invention n’est pas nouvelle. Les prototypes du genre, et encore ! ce sont ces deux envoyés dont nous avons, à la fin de notre précédente chronique, narré brièvement l’aventure d’après le Discours sur la première Décade, que le Sénat romain avait détachés au consul Fabius, et que ce général, rétif au contrôle, mit sans façon, s’il est permis de s’exprimer ainsi, dans un pli de sa toge. On a évoqué d’autre part, à la tribune même, le haut Moyen Age, et le commencement des temps modernes, Charlemagne, Charles VII et Richelieu. Mais il paraît que c’est fantaisie de songer, à propos de nos contrôleurs, aux Saint-Just et aux Levasseur, aux Barras et aux Fréron, aux Robespierre le jeune et aux Saliceti, aux Albitte et aux Gauthier, aux Choudieu et aux Gaston, aux Duquesnoy, aux Antiboul, aux Bô, Bollet, Deville, Duroy, Goupilleau, Hentz, Lefîot (de la Nièvre), Monestier (du Puy-de-Dôme), et aux cinquante couples de conventionnels s’en allant deux par deux, bottés, empanachés, « ceinturés » d’un flot de rubans tricolores : troupe où, comme dans toutes les troupes, il y en eut pour tous les goûts et pour tous les rôles : du bon, du médiocre et du pire ; de l’odieux, du grotesque et du nul; de l’autorité, de l’arbitraire et de l’anarchie. On nous a fait toucher du doigt la différence. La Convention prescrivait