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était catholique ; on eût dit qu’elle était déjà, pour eux, une terre à demi ennemie[1]. C’est que déjà la nocive équation, qui n’était jadis qu’un jeu de philosophes ou bien une interprétation d’historiens, faisait son œuvre au fond des têtes ; c’est elle qui chargeait d’hostilité les regards de ces Prussiens de l’Est, habitués à suspecter les catholiques d’être de mauvais Allemands. On entra en Belgique : là, tout de suite l’équation déchaîna des ravages ; elle suscita l’incendie des sanctuaires, le massacre des prêtres. L’ivresse survenait, — ivresse d’alcool, ivresse de sang, — et rendait ces brutes accessibles à tous les bruits qu’on leur jetait en pâture : les catholiques belges finissaient par leur apparaître comme autant de francs-tireurs, dont les prêtres guidaient le bras. Un témoin protestant, ancien professeur à l’Institut technique de Dordrecht, M. Grondijs, constatait que presque tous les régimens dirigés vers Louvain étaient composés d’élémens protestans ; que la haine contre les prêtres était manifeste. Il entendait les soldats crier : A bas le catholicisme ! Il voyait injurier les prêtres ; il était là, à Louvain, lorsqu’ils furent arrêtés en masse. « Si je suis tué, déclarait l’un de ces prêtres, je meurs pour ma foi catholique ; car c’est à la fureur protestante contre notre clergé catholique que je succombe en victime[2]. » « Attention, disait M. Grondijs au gouverneur militaire, vous ne pouvez justifier toutes ces arrestations, il serait impolitique de donner j à la guerre le caractère d’une guerre religieuse[3]. »

Cependant les rumeurs qui taxaient les prêtres d’assassins prévalaient contre ces sages remarques et trouvaient accueil dans certains régimens catholiques. « Nous sommes catholiques, criait-on à un vicaire de Louvain ; mais vous êtes des cochons et des démons noirs[4]. » Un roman militaire intitulé l’Effondrement de l’ancien monde, tiré à cent cinquante mille exemplaires, avait décrit d’avance, dès 1906, une entrée des Allemands en Belgique, et la résistance de la « turbulente population belge, excitée par des prêtres fanatiques[5]. » Il y avait des lecteurs de ce roman, protestans et catholiques, parmi les hordes qui

  1. Pfeilschifter, Religion und Religionen im Weltkrieg, p. 87 (Fribourg, 1915).
  2. Pfeilschifter, op. cit., p. 88.
  3. Royaume de Belgique : réponse au Livre Blanc allemand du 10 mai 1915 p. 248 (Paris, 1916).
  4. Réponse au Livre Blanc, p. 361.
  5. Réponse au Livre Blanc, p. 53.