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purement et simplement à son devoir, de sorte que sa conscience y dise oui. Protestante est la grandiose préparation de notre état-major, que nous admirions au jour de la mobilisation. Protestante est la solide tenue de notre peuple aux époques de menace pour son existence ; protestant est l’esprit de nos combattans. Eh bien ! que ce soit ensuite notre ambition de demeurer protestans jusqu’aux os. Tous les services divins, toutes les organisations ecclésiastiques des confessions existant chez nous, n’ont de valeur qu’autant qu’elles aident notre peuple à remplir cette mission historique qui est sienne : cette mission, je le redis, s’appelle protestantisme[1].


Les catholiques d’Allemagne étaient prévenus ; ils savaient dans quelle mesure et pour quelles fins on accordait une valeur à leur Eglise. Quelques mois s’écoulaient, et dans un organe des missions évangéliques, M. Julius Richter écrivait :


Le peuple allemand a rendu au monde l’Évangile, au siècle de la Réforme ; il a sûrement, aujourd’hui encore, cette destination mondiale d’apporter le christianisme à l’humanité, dans sa conception la plus profonde, dans sa plus riche plénitude. Aucun peuple n’a au même point que le peuple allemand laissé pénétrer toute sa culture, jusqu’à ses derniers principes, par l’esprit chrétien. En ce sens, ce n’est peut-être pas trop dire que d’affirmer que l’Allemagne évangélique est l’évangéliste des nations. Dans cette profonde conception du christianisme, l’esprit allemand et la foi allemande sont fondus en une indissoluble unité[2].


Mais un Dietrich Graue, mais un Julius Richter, n’étaient que des théologiens s’adressant surtout à des théologiens. Les catholiques d’Allemagne allaient connaître de plus pénibles affronts. Un Anglais qui s’est fait le théoricien du pangermanisme, M. Houston Stewart Chamberlain, eut la pensée de destiner aux soldats, dans leurs tranchées, un petit catéchisme semi-politique semi-religieux, qui leur prêcherait le culte de l’Allemagne ; et dans cet opuscule de propagande patriotique, signé d’un favori de l’Empereur et qu’un bon Allemand ne pouvait accueillir d’un œil indifférent, les lignes suivantes s’imposaient aux regards des soldats catholiques :


Luther n’est pas un grand homme qui naquit accidentellement en Allemagne. Lui et l’Allemagne ressemblent plutôt à une pièce de monnaie,

  1. Protestantenblatt, 16 septembre 1914, p. 835 et suiv. (cité dans Pfeilschifter, Religion und Religionen, p. 89). « On devra se souvenir de ces paroles, ajoute mélancoliquement le professeur Pfeilschifter, pour pouvoir comprendre des hommes comme M. Frédéric Masson déclarant qu’à Louvain les protestans allemands ont voulu atteindre le centre de la culture catholique. »
  2. Allgemeine Missionszeitschrift (cité dans Allgememe Rundschau, 5 février 1916, p. 11).