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donné absolument à cette vocation réfléchie. Pour la réaliser, rien ne l’a rebuté, en fait de travail patient et d’efforts prolongés. A travers les péripéties de son existence, il s’est attaché, sans dévier, à ce qui en était à ses yeux la tâche principale, profitant des circonstances, non pour l’alléger, mais au contraire pour la développer, pour la compléter, pour l’achever, autant que cela était en son pouvoir. Une énergie puissante l’animait ; énergie discrète, qui n’aimait pas à se manifester bruyamment, qui ne se dépensait pas en déclarations inutiles, mais qui se retrouvait toujours égale à elle-même, aussi incapable de découragement qu’étrangère à toute vaine exaltation.

Bien qu’il eût conscience, comme il était juste, des services éminens qu’il avait rendus à la science, il n’y avait en lui ni infatuation ni dédain. Il se considérait comme obligé en conscience de faire tout ce qu’il faisait. Et il savait trop combien sont lents les progrès de nos connaissances, en quelque genre que ce soit, et combien elles comportent de lacunes, pour s’imaginer, comme il arrive à d’autres, qu’il ne restait rien à faire en dehors de ce qu’il avait fait. Attaché à ses idées, tant qu’elles lui paraissent vraies, il ne prétendait s’imposer à personne. Il mettait ses élèves en état de travailler par eux-mêmes, leur montrait les routes à explorer, mais se gardait de les tenir ensuite en lisières. Il était attentif sans jalousie aux recherches de ceux qu’il aurait pu considérer comme des rivaux, rendait justice à leurs travaux, faisait volontiers connaître leurs découvertes. Sa grande autorité d’égyptologue n’a jamais été employée à empêcher qui que ce soit de se produire et de faire œuvre utile.

Ce savant éminent était un homme simple, bon et serviable, un ami sûr, délicat et dévoué. Son commerce était charmant d’aménité, de bonne grâce, sans aucune prétention. Sa conversation plaisait par un agréable mélange de souvenirs, d’observations fines, d’aperçus personnels, d’informations étonnamment variées.

Grâce à ces qualités naturelles, sa vie, à tout prendre, et malgré les épreuves dont personne n’est exempt, fut heureuse, jusqu’à la mort de son fils Jean, jeune savant plein d’avenir, tombé au champ d’honneur en février 1915. Ce coup terrible l’atteignit au moment où il venait de rentrer en France, très fatigué ; et malgré son grand courage naturel, soutenu par son