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archine on ne la mesure pas. Pour connaître la Russie, il faut croire et avoir la foi. » Plus qu’aucun autre, la Russie est le pays des surprises. On en éprouve à chaque pas, et de tous les genres. On y rencontre des : libertés, qui étonnent d’abord sur cette terre de l’autocratie, qui choquent même un peu les Français accoutumés à la centralisation et à l’omnipotence de l’Etat. C’est ainsi qu’il existe à Pétrograd une vaste et riche Université réservée aux femmes. C’est une institution privée, dont le conseil d’administration est indépendant. Pourtant, le recteur choisi par le conseil reçoit des appointemens de l’Etat. Les diplômes obtenus par les étudiantes de cette Université libre ont la même valeur que ceux de L’Etat. Le professeur qui me montrait les salles de cours et les bibliothèques était un vieux libéral, un élu de la première Douma, et qui jadis avait fait de la prison pour la cause : je pus lui dire qu’en France on ne concevait pas la liberté d’enseignement poussée à ce point. S’agit-il d’institutions populaires ? Notre démocratie n’a pas l’idée de ce qui a été tenté, — à quelques pas de la célèbre forteresse de Pierre et Paul, — par un membre de la famille impériale, et avec quel succès ! Le Narodni Dom, la maison du peuple, a été fondée par le grand-duc d’Oldenbourg pour donner à la population modeste et ouvrière de Pétrograd un lieu de réunion et des récréations artistiques. C’est aujourd’hui un palais, qui renferme plusieurs théâtres, où, pour quelques kopeks, trente mille personnes peuvent chaque soir entendre l’opéra, le drame, la comédie, où les plus illustres chanteurs, ceux dont le cachet se paye plusieurs milliers de roubles, ne dédaignent pas de se faire entendre. On mange aussi, au Narodni Dom, et des cuisines gigantesques y préparent des repas appétissans, quoique économiques. M. Poincaré, à l’un de ses voyages officiels en Russie, a visité ce palais du peuple. C’est en effet une des curiosités de la Russie contemporaine qu’une pareille institution, dont l’équivalent n’existe pas ou bien végète dans les pays de démocratie à tendance socialiste, et qui prospère dans l’Empire des tsars. Mais la Russie n’est-elle pas la terre de ces apparentes contradictions ? N’a-t-elle pas la République et le régime des assemblées à ses origines et dans son passé, avec Monseigneur Novgorod la Grande et la Vetché ? Est-ce que le servage, au lieu d’être une survivance, n’a pas été chez elle une fondation des temps relativement modernes ?