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de l’Empire allemand et de livrer aux Puissances germaniques, avec les Serbes, tout l’Orient chrétien ? En admettant même que, par ce moyen, on eût évité la guerre, détourné l’agression préméditée de l’Allemagne, qu’eût pensé cette fois le peuple russe de cet abandon sans retour de ses frères de race ? Il y aurait eu un mécontentement profond, des manifestations populaires, qui sait ? peut-être des émeutes, ont répondu plusieurs députés libéraux à la question que je leur posais sur ce point. L’un d’eux me dit même ce mot qui, semble-t-il, éclaire beaucoup de choses : « En politique étrangère, le parti libéral n’a pas de doctrine. Mais il a des sentimens. »

C’est un sentiment, en effet, et un sentiment presque irrésistible, qui a poussé la Russie à prendre la défense des Slaves de l’Orient contre l’Allemagne, comme elle l’avait prise autrefois contre les Turcs. Mais c’est un sentiment populaire, un instinct confus des masses, qui n’aura pas trouvé de doctrinaires dans les partis. Jadis, le slavisme n’avait été pour le peuple russe qu’un des aspects de sa tradition nationale, monarchique et religieuse. Il semble que, de nos jours, il ait trouvé pour se réveiller, un autre levain. Libéralisme et nationalités : un demi-siècle avant, ces deux élémens réunis avaient travaillé l’Italie et l’Allemagne, où le patriotisme unitaire, le patriotisme de race, avait commencé par être libéral et, comme disait Metternich, jacobin. Sous une forme nouvelle, sans doute, plutôt comme une association de forces que comme une association d’idées, la rencontre des deux principes se sera reproduite de nos jours dans le monde russe. En tout cas, le problème des nationalités slaves de l’Orient se sera posé pour lui dans la première phase de sa vie constitutionnelle, et il l’aura résolu par l’intervention. Telle est la comparaison que l’on peut faire de ce mouvement national avec les grands mouvemens nationaux du XIXe siècle qui, eux aussi, avaient eu pour conséquence de vastes guerres. En tenant compte de la différence considérable des situations, il est possible, à l’aide de ce rapprochement, de commencer à comprendre la marche des esprits dans la Russie contemporaine.

Cependant, l’idée slave a subi une déception arrière. La trahison bulgare a profondément troublé les cœurs. La Bulgarie, fille chérie du slavisme, où tant de Russes avaient des amitiés, des liens, des sympathies, à qui, souvent, allaient même leurs