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XII

Le 13 février, Aubert reprend ses classes par quinzaines, à la façon du Siège. La correspondance avec la province met longtemps à se rétablir régulièrement ; mais on se contente de peu, après de telles privations. On est au courant des faits et gestes des êtres chers, et c’est le principal. L’entretien se renoue, doux, familier, intime entre le père, les enfans, les amis, sur les santés, les projets, les détails sérieux ou plaisans de la vie de chaque jour. Il y a un tel ressort dans l’homme qu’il se reprend à sourire au sortir des ombres de la mort. La belle humeur d’Aubert reparaît et même son bel appétit. Il ne craint pas de corser sa lettre de quelques détails gastronomiques, pot-au-feu, rôtis, — une certaine dinde dont l’eau nous vient à la bouche. Cela se rencontre, dans ses lettres, avec les tristes souvenirs, et aussi avec les graves et doux conseils de travail, d’économie, d’amour du devoir.

Enfin, il retourne à Angers à la fin de février, et tous les liens de la vie de famille sont renoués. C’est un peu de joie. Pourtant, l’image des malheurs publics n’est pas loin. En revenant de son voyage, Aubert la retrouve péniblement sur sa route.

« D’Orléans à Paris, vous ne pouvez rien concevoir de plus triste. Aux Aubrais, les Prussiens sont encore occupés à déménager ; mais des Aubrais à Paris, la ligne est encore sous leur surveillance. A Artenay, on nous a fait reculer d’un kilomètre pour rentrer en gare et laisser passer un général prussien. » — A Paris, l’encombrement est extrême : « Cinq fiacres pour trois cents personnes ; on loue une voiture à bras, et on suit à pattes son commissionnaire. » — Mais c’est Paris, vivant et renaissant. Quoi ? Il y a même des théâtres et des concerts : « Pour moi, dit Aubert, cette idée ne m’est pas encore entrée dans la tête. Je ne blâme pas ceux qui s’amusent ; je les laisse faire et ne leur porte pas envie. »

Mais il retrouve la vie qu’il aime, sa maison, son travail : « J’ai défait ma caisse, planté mes fleurs, déballé mes pommes. » — Et voilà que reprend la bonne et salutaire routine des devoirs professionnels, non plus à la volée comme pendant tant de mois, mais régulièrement. On a chanté la messe du