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Fédérés y ont subi un rude échec, tant tués que blessés et noyés ; si le Dombrowsky n’avait pas couru au grand galop de son cheval pour faire fermer les portes, tous ses bataillons rentraient à Paris. Hier, on a enlevé Bécon, qui domine la Seine entre Courbevoie et Asnières, et cette position bien fortifiée gênera étrangement les insurgés. les Ternes, Levallois, Asnières deviendront inhabitables, et, comme les troupes occupent toute la presqu’île de Gennevilliers, de ce côté Paris sera sans défense. Le voisinage des Prussiens qui tiennent Saint-Denis ne permet au-delà aucun mouvement de troupes à la Commune.

« Quant à la vérité sur les pertes des Fédérés, elle commence à transpirer : Neuilly est encombré de blessés et de morts. Pour les blessés, on les ramène quand on peut, et, comme les chirurgiens même de troisième ou de quatrième ordre sont écartés des ambulances avec le plus grand soin, vous pouvez juger quelle assistance ils rencontrent. Les morts sont cachés dans les caves et dans les écuries, où on les entasse ; et, sous prétexte de rendre la défense plus rapide et plus sommaire, comme dit Cluseret, on brûle les habitations, afin de faire disparaître ces traces compromettantes. On fait, cependant, quelques enterremens à Paris : hier, c’était le convoi d’un pauvre garde national ; des immortelles à toutes les boutonnières et même au sein des femmes (c’est l’expression fédérale) ; quatre drapeaux rouges flanquant le corbillard ; dans la bière, un malheureux qui s’est fait tuer sans savoir pourquoi. Triste temps, passions bien aveugles ; en haut, des coquins capables de tout ; en bas, un peuple de moutons qui a entrepris de faire savoir au monde jusqu’où peut aller la patience, pour ne pas dire la lâcheté, qui est le vrai mot !

« Quel rôle jouons-nous ici ? En réalité, arrêtés ou non, nous sommes les otages de ces gens-là. Il va falloir subir un nouveau siège et achever le peu qui reste de pain noir. Que faire ? Mon ami Girard ne songe pas à fermer la maison. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous ne serons pas payés ce mois-ci. J’ai prévu ce cas, et vous n’avez pas à vous inquiéter. Mais beaucoup n’auront pas eu la même prévoyance et pourront être embarrassés.

« Je vous écrirai encore samedi, mes bons amis, et je porterai ma lettre à Clichy pour qu’elle vous arrive plus tôt.