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la Bibliothèque nationale. Il va demander à M. Thiers lui-même une permission, et le poursuit pour cela jusqu’à l’Assemblée nationale ; M. Thiers vient de faire connaître les faits de la lutte abominable, les crimes, les incendies : « Chacun connaissait les nouvelles, dit Aubert ; mais quand M. Thiers les a communiquées officiellement, on eût dit que chaque détail était nouveau pour tous. On est consterné. »

Le jeudi 25 mai, à neuf heures et demie, il écrit de Versailles : « On entend encore le son du canon. » Ce soir-là même, ou le lendemain matin, il trouve moyen d’entrer dans Paris, et, le samedi 27, il fait passer deux lettres pour rassurer ses enfans sur lui et sur ses deux sœurs, qui étaient dans Paris et qui ont vu la mort de près.

Girard l’a vue d’aussi près, lui, avec quelques élèves, avec l’économe et le père Flan, qui sont restés dans le lycée, tandis que le quartier du Panthéon, muni de barricades, miné, était enlevé d’assaut par les chasseurs à pied[1]. Dans l’école voisine, Sainte-Barbe, quatre enfans, quelques surveillans étaient restés aussi, passant les nuits dans les caves, les jours sur les portes, dans les rues. L’angoisse de ces veillées, de ces furtives excursions entre les barricades, au sifflement des balles, tout cela a fait le sujet d’un admirable récit que tout le monde a lu : Dans la bataille. Car un des quatre enfans restés à Sainte-Barbe était Paul Bourget. Il était là, il a vu, il a souffert. Ce sont, dit-il, « les heures affreuses de ma jeunesse, où j’ai eu, adolescent, une trop précoce révélation de la férocité de la vie. »

Quoi de plus poignant que son tableau du quartier Latin, dans les « lumineuses, tièdes journées de douceur printanière, » de mai 1871 ? Ce sont ces sortes de vacances générales, les rues vides de voiture », mais pleines de promeneurs, — de filles qui chantent en se donnant le bras, — les cafés pleins à déborder, — et tout autour le canon, le sifflement des balles. Aubert est arrivé vers la fin de ces scènes et quand les saturnales avaient tourné en sombre et sanglante tragédie.

« Grâce à Dieu, mes sœurs sont en sûreté et j’ai trouvé ma maison debout. On s’est battu deux jours autour de la maison de Caroline et, pour échapper aux balles, la pauvre femme a dû rester tout le temps sur un fauteuil, dans le coin de la salle

  1. M. Girard a fait la classe jusqu’au 22 mai.