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prépare les héros. Mais comment ne douterait-elle pas, à la fin ? Elle demande si la honte sera éternelle, le servage éternel. Rien ne répond :


… Toi ! ô toi, navire d’acier, glissant, rapide, vivant, palpitant comme si le métal enfermait un cœur terrible… premier messager de mort sur la mer disputée… toi, réponds ! Le Destin est certain, et, pour ce jour, les feux s’allument sur les autels.


Alors, le poète bénit les navires, par lesquels l’Italie verra sa force première renaître ; il glorifie la flotte éparpillée là entre la mer et le soleil, prête pour le conflit suprême, force nouvelle consacrée à la victoire.

Plus on avance à travers l’œuvre de Gabriele d’Annunzio, plus on y voit se préciser, rayonner, le double rôle d’oracle et d’animateur, qu’il va jouer dans les destins de son pays. A l’heure de l’avènement du jeune roi Victor-Emmanuel au trône de la jeune Italie, le poète le sommera de faire sortir le pays de sa coupable apathie :


… Le destin t’a élu, rappelle-toi, pour la haute entreprise audacieuse ! Tends l’arc ! Allume la torche !… Exalte le fort !… Ouvre à notre force la porte des empires futurs, — car si le dommage et la vergogne durent — quand l’heure sera venue, parmi les rebelles, tu verras aussi celui qui, aujourd’hui, ici, te salue.


Des yeux de l’âme, d’Annunzio voit surgir dans le lointain, resplendissant au regard de son espérance, le héros libérateur, celui qui effacera le dégoût, l’écœurement, l’angoisse des âmes, rapportera, sur le sol de Dante, la beauté avec la gloire, toutes deux éclairées par les lueurs sanglantes des torches guerrières. Il chante le Chant augural pour la nation élue :


… Italie, Italie ! Consacrée à la nouvelle aurore, un aigle sublime de race titanique ignorée, avec des plumes blanches, apparaît dans la lumière : et voici resplendir un péplum, ondoyer une chevelure. N’est-ce pas la victoire d’Athènes et de Rome ? La Niké ? La Vierge sainte ? Italie ! Italie !


Cependant, rares sont ceux dont, autour de lui, l’esprit vibre à l’unisson de son esprit. Il surprend des sourires de scepticisme sur les lèvres amies, des éclairs d’ironie dans les yeux de ses compagnons de plaisir lorsqu’il entonne Le chant pour tous les hommes, glorifie la guerre, honnit la vie qu’il a vécue. A son tour, il défie ses compagnons, il les appelle « Aux armes : »