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… Allons, allons ! si encore il y a, au monde, des actions à accomplir belles comme les plus belles promesses des songes virils ; si encore il y a des monstres à vaincre, des énigmes à résoudre, des charniers à purifier, des cœurs humains à faire crier, des cris d’amour et d’orgueil vers la vie, allons, allons !… S’il y a encore des sources où s’abreuver après les luttes, des collines silencieuses soutenant des amphithéâtres de marbre consacrés aux tragédies, s’il y a des musiques, des hymnes, s’il y a encore des lauriers, allons !


On ne l’écoute point. Verra-t-il les siens s’enlizer jusqu’au cœur, dans la boue lâche du siècle ? Verra-t-il la troisième Italie « s’étendre sous chaque ruffian comme une prostituée, et Rome, à l’ombre des chênes sacrés, faire paître les porcs ? » Jusqu’à quand « l’oie sans ailes habitera-t-elle le Capitole et la taupe sans yeux le Quirinal ? » C’est ainsi qu’en l’âme juvénile de Gabriele d’Annunzio, comme en son Italie au temps des Borgia, le bien s’était battu avec le mal ; la plus dangereuse oisiveté avec le plus vif amour des lauriers ; l’impétuosité irrésistible des plus mauvaises passions avec ce mysticisme qui monte vers le ciel, comme le plus pur encens.

Laquelle de ces Puissances triompherait à la fin ? Qui vaincrait ? L’angoisse moderne pénétrerait-elle cette âme profonde, ce vase de myrrhe, empli de tout le bien et de tout le mal ?


Lorsque parut, — en 1910, — le dernier roman de Gabriele d’Annunzio, ces questions ne pouvaient plus se poser depuis longtemps, pour ceux qui, familiers avec la langue italienne, avaient médité l’œuvre entière, — non seulement du dramaturge et du romancier, mais surtout du poète.

Tantôt comme un filet d’eau à peine visible, tantôt comme un brusque torrent qui écume, partout, ils y avaient senti circuler cette spiritualité latine que les soucis matériels ne peuvent jamais entièrement dessécher, qui ne disparait sous terre que pour rejaillir et refléter, avec plus de pureté, les clartés du ciel.

L’apparition de Forse che si, forse che nó fut une révélation pour le public peu italianisant. Les cœurs sincères s’émurent, s’interrogèrent, s’exaltèrent. Les fatalités de la chair, les liens qu’elle noue entre les êtres, les déchirures qu’elle laisse dans les corps et dans les âmes, quand la magie du désir est abolie, voilà quelle avait été jusqu’alors la matière préférée des romans d’Annunzio. On y avait vécu comme en une géhenne où l’Idée