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avait encore à mourir. Ivre d’amour et d’épouvante, transfiguré par une vertu maternelle qui le soulevait, le portait, le poêle n’était plus qu’une offrande d’amour, un cri vers l’aurore, un clairon aux lèvres de la race élue :


Voyez, je tremble, voyez, je chancelle… Il vient, il vient le Seigneur invoqué. Il enflamme la nuit… Or, il dit : « Qui donc enverrais-je, O annonciateur des choses saintes, qui donc ira pour nous ? » Je dis : « Me voici, envoyez-moi, Seigneur… Je n’ai plus de chair ni d’os autour de mon âme haletante pour franchir les fleuves et les montagnes ; déjà, sur la borne milliaire, à la clarté des Pléiades, je lis le nom ineffaçable et j’entends les chevaux des Dioscures hennir… O Victoire, sauvage comme la cavale qui paît l’asphodèle dans le désert romain… O désirable, si jamais, seul et anxieux, j’interrogeai tes vestiges, loin du peuple vêtu d’ignominie et de paix… O Vierge, accompagne mon message, affermis ma voix. »


Ce que le poète avait appelé avec des hymnes, ce qu’il avait annoncé dans la vigile et l’attente au milieu de l’amertume des larmes, ce qu’il avait hâté par les strophes vengeresses et par les strophes d’amour allait s’accomplir. À côté de la France guerrière, debout la face à la lumière, vêtue de pourpre et les doubles ailes attachées à ses pieds nus, l’Italie allait se dresser, elle aussi en armes, moissonneuse farouche, dans le soleil :


… O Italie, ô France ! J’entends par-dessus les sépulcres fendus et par-dessus tes lauriers hérissés, Victoire, le tonnerre des aigles qui se précipitent vers l’Est et de toutes leurs serres déchirent la nuit.


L’heure fatidique a sonné, non pas acceptée, mais voulue, voulue avec cet orgueil qui est la poésie de l’action, voulue, lourde de maux et de sacrifices inouïs. Pour la plus noble cause, il y a encore à combattre, et quand, lavée dans ses pleurs et dans son sang, la France resplendit plus belle que jamais, qui serait à côté d’elle, sinon la sœur latine ?

Le sort en est jeté. L’Italie n’est plus liée aux empires centraux. La déclaration de guerre a éclaté dans Rome enfiévrée. Autour de la colonne Trajane, on a chanté la Marseillaise. Les drapeaux français se sont confondus avec les drapeaux italiens. Le 23 mai 1915, Gabriele d’Annunzio a pu télégraphier à Maurice Barrès :


Nous avions deux patries, et ce soir nous en avons une seule, qui va de la Flandre française à la mer de Sicile. C’est la poésie qui fait le don réel et merveilleux à notre amitié militante : Fidem signemus sanguine. Votre frère.


Alors, dans l’âme délivrée de l’Annonciateur, éclate une joie