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de l’homme avide de hauteur, avide d’abîmes, et qui commande dans la tempête. Gabriele d’Annunzio sera cet homme-là. Il écoutera d’en haut la voix des naufragés, il luttera, il vaincra, il apercevra une destinée nouvelle qui vaut que l’on vive et que l’on meure. Il ne songe plus à raffiner son intellectualité pour en faire l’instrument le plus subtil qui soit, ni à tendre sa sensibilité jusqu’à en faire la plus vibrante des harpes ; c’est du côté de l’action que, ivre d’infini, il voit la route ouverte.

Déjà au temps où il s’abandonnait à toutes les sollicitations de sa nature, Gabriele d’Annunzio n’avait-il pas eu la fugitive vision de cette flamme de beauté qui éclaire le chemin, empêche de rouler au précipice ? A présent, elle resplendit devant lui., Elle est comme un feu sacré sur l’autel de la Patrie. À cette clarté, l’Enfant de Volupté a retrouvé le chemin perdu. Aux combats des sens, aux joies matérielles, il préfère désormais la mystique activité du sacrifice. Il s’écrie : « Là où est le sacrifice, là est la déité ! » Une puissance inouïe l’agite, l’exalte.

Et il s’offre à la mort.


Mais la tâche de l’Animateur en vérité n’est pas finie.

Pour que se matérialisent les grandes destinées, que par une étrange divination, l’auteur adolescent des Odes Navales, — alcyon ne sur la mer, — avait déjà prédites à son pays, il faut que, « soldat blessé sur la mer, » Gabriele d’Annunzio reprenne, réaccorde sa lyre. Il faut qu’en une ultime vaticination généreuse, plus large que les précédentes, plus surhumaine encore, il fasse appel au génie de sa race. Il faut que, par la magie du Verbe, il suscite une solidarité jamais connue sur la terre, Une fusion telle du sang et des esprits entre les peuples alliés, qu’ils suivent d’une seule âme le sort de chaque bataille.

Alors, par un miracle suprême, le jour où se réaliseront ses prophéties, Gabriele d’Annunzio, — Homère de l’Italie guéri ou non de sa glorieuse cécité, — verra, de ses yeux extasiés d’aède et de héros, l’Italie, avec ses rudes chevaux des Maremmes et toutes ses bannières déployées au milieu des bannières fraternelles, célébrer la victoire des nations sur la horde et entrer en triomphatrice dans les villes impériales.


JEAN DORNIS.