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observateurs sans parti pris. Ajoutons à cela qu’elle a su se tenir à l’écart, mais non pas « au-dessus de la mêlée. » Si la Suisse officielle s’est prudemment abstenue de certaines manifestations et de certaines paroles qui auraient eu leur élégance morale et leur noblesse[1], si elle s’est enveloppée dans une neutralité un peu pharisaïque et vite intimidée devant les exigences de la brutalité allemande, il faudrait être un peu naïf pour s’en étonner et pour s’en plaindre : les hommes sont les hommes, et la force a toujours un grand prestige auprès des faibles ; la France avait eu d’ailleurs le très grand tort de s’être fait battre en 1870, et ce sont là de ces fautes que l’on met du temps à oublier, et à pardonner ; de plus, chacun sait qu’aucun pays, avant la guerre, n’avait peut-être plus fortement que la Suisse subi l’empreinte germanique, — si ce n’est la Belgique ; et enfin, on ne saurait en vouloir à la petite Confédération suisse de ne pas s’être montrée plus héroïque que la grande Confédération américaine. On doit même lui en vouloir d’autant moins que le gouvernement fédéral a fait, au total, tout ce qui était en son pouvoir pour humaniser la guerre qui faisait rage à ses frontières, pour en atténuer les effets et pour en soulager les misères, et que le peuple suisse, dans son ensemble, a su exprimer très librement, et parfois non sans mérite, ses indignations et ses sympathies morales, et qu’il a déployé, pour remédier aux maux, — ou aux crimes, — des belligérans un véritable génie d’organisation humanitaire, de dévouement et de charité. L’Allemagne victorieuse n’aurait, suivant sa coutume, apprécié que faiblement ces services, si même elle ne les eût point payés d’une annexion, au moins économique. La France victorieuse, et ses fidèles alliés, sauront s’en souvenir.

Pour toutes ces raisons, l’opinion suisse sur la France en guerre est de celles qu’on ne saurait négliger. Et dès maintenant on peut signaler aux historiens de l’avenir plusieurs volumes où ils pourront puiser à pleines mains des informations précises et des impressions clairvoyantes.

Un certain nombre des pages qui les composent ont d’abord paru dans les deux plus importans journaux de la Suisse

  1. N’oublions pas d’ailleurs que le Parlement suisse est le seul de tous les Parlemens d’États neutres qui, par la bouche de son doyen d’âge, M. Henri Fazy, président du Conseil d’État du canton de Genève, ait fait entendre une protestation contre la violation de la neutralité belge.