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çà et là, dans les champs, des tombes que surmonte une modeste croix, et où flotte un drapeau, voilà tout ce qui reste aujourd’hui de cette mêlée effroyable. A l’époque où MM. Wagnière, Vallotton et Chavannes ont visité ces champs de carnage, les vestiges de la terrible bataille étaient plus nombreux et plus parlans, et ils ont pu les noter à l’usage de leurs lecteurs. Mais si les traces visibles de la grande tourmente sont destinées à promptement disparaître, les souvenirs moraux subsistent. Les trois écrivains suisses en ont recueilli d’une authenticité indiscutable, et qui tous confirment ce que nous ont appris les enquêtes officielles sur les « atrocités » de la guerre allemande. Leur témoignage, peu suspect, est bon à relever. « Je n’ai aucun parti pris, — écrit M. Wagnière, — aucune haine, aucune antipathie à l’égard des Allemands… Je compte parmi eux de bons amis, si hospitaliers et fidèles. J’aime leurs écrivains, leurs grandes villes si vivantes, leurs belles cathédrales où l’on fait de si admirable musique. Ce que je vois, ce que j’entends n’en est pour moi que plus pénible. Ils ont voulu mener la guerre durement, sans pitié. Et ce mot d’ordre des chefs[1] a suffi pour déchaîner chez certains de leurs hommes les pires instincts et produire d’horribles violences… Sur ces ruines, pour longtemps encore, la paix et l’amitié ne pourront pas fleurir. Il n’y aura place que pour le soupçon, la rancune et la haine. Le haut commandement de Berlin a pensé qu’il amènerait plus vite la France a merci par la terreur. C’est le contraire qui se produit. » Ces déclarations, si impartiales et si mesurées, et d’autant plus probantes, d’un honnête homme font plaisir à entendre.

Le terrorisme allemand a si peu affecté la résolution française que ni nos habitudes, ni notre caractère n’en ont été modifiés. L’invasion à peine repoussée, en pleine zone de guerre, la vie a repris son cours normal. M. Wagnière, qui a parcouru les environs de Reims en octobre 1914, s’émerveille

  1. Non seulement des chefs, mais de l’Empereur lui-même. Voyez, dans l’Amende honorable de l’Espagnol Francisco Melgar (Paris, Bloud et Gay, 1916), le texte de la lettre confidentielle de Guillaume II à François-Joseph : « Mon âme se déchire, — disait le document, — mais il faut absolument tout mener à feu et à sang, égorger hommes et femmes, enfans et vieillards, ne laisser debout ni un arbre, ni une maison. Avec ces procédés de terreur, les seuls capables de frapper un peuple aussi dégénéré que le peuple français, la guerre finira avant deux mois… »