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l’autre, sans rien se dire, avec l’intime satisfaction de se sentir naturellement compris. Évidemment, sans la guerre, Pacard et Pascalin se seraient éternellement ignorés, et, ce qui est plus grave, éternellement méconnus.

Il manquerait quelque chose aux Carnets d’une infirmière, si l’on n’y apercevait pas quelques silhouettes de soldats blessés et guéris qui repartent au front. C’est peut-être à ce moment-là qu’ils donnent la plus juste mesure de leur âme. Car enfin, après la longue épreuve qu’ils ont faite de la guerre, de la souffrance, qui leur en voudrait, au moment du départ, de connaître quelque défaillance ? Or, ils ne montrent aucune faiblesse. Très droits, un peu silencieux, dans leurs uniformes remis à neuf, ils se sentent redevenus soldats. Mais ce n’est plus le radieux premier départ ; ils n’ont plus le sourire aux lèvres. « Je les regardais, nous dit Mme Noëlle Roger, et je sentais bien que leur volonté n’est point ébranlée. Seulement, aujourd’hui, ils savent. Ils ont vu… Ils ne vont plus là-bas comme à une fête, en se grisant de paroles et de chansons. Ils ont vu les camarades tomber à leur côté. Ils sont tombés eux-mêmes. Ils connaissent l’effroyable risque. Alors ils sont graves. Ils partent. C’est le devoir. Ils l’acceptent d’un cœur affermi. Mais ils ne se sentent plus des enfans insoucians comme naguère. Ils sont des hommes clairvoyans et mûris. Et leur résolution silencieuse, leur sacrifice averti m’apparaissent d’une grandeur qui dépasse toutes les autres. L’admiration que j’éprouve remplit mes yeux de larmes… »

Ces larmes, cette admiration unanime, et qui, par-delà nos soldats, s’étend à toute la grande patrie qu’ils symbolisent et qu’ils défendent, quel hommage plus spontané, plus glorieux, plus désintéressé la France pourrait-elle souhaiter ?


II

Tournons-nous maintenant vers un autre peuple neutre. L’Espagne, — M. Louis Bertrand l’a bien montré ici même, — est assez divisée à notre égard, et la propagande germanique y a déployé ses plus « colossales » malices, y a exploité avec la plus sereine perfidie nos erreurs ou nos ignorances de vaincus. Pourtant, nous avons là-bas des amis : je n’en veux pour preuve